Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/139

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elle est enseignée aujourd’hui dans toutes les universités de l’Allemagne, tandis qu’elle n’a pas une seule chaire en France. Autour des chefs-d’œuvre de l’architecture, de la peinture et de la sculpture, n’y a-t-il pas une infinité de productions d’inégale valeur qui expliquent ces chefs-d’œuvre et sont expliquées par eux, qui offrent, elles aussi, à leur manière, de sincères expressions de la vie supérieure de l’humanité, qui traduisent l’essor de chaque civilisation vers le beau, et montrent les voies lumineuses par où l’art a passé ? Ne convient-il pas de savoir ordonner ces trésors, afin de classer les diverses écoles selon leurs inspirations et leurs mérites ? On doit identifier les œuvres, reconstituer les biographies des artistes, retrouver les lieux et les dates. Le seul sentiment de justice que l’équitable histoire recommande, et qui est dû en particulier au talent, veut qu’on ne laisse pas se multiplier les injustes oublis, et qu’on respecte tant de mémoires en faveur desquelles réclame la présence ou le souvenir de tant d’œuvres d’une réelle valeur. « Même les siècles antérieurs à l’an mille, quelque tristes et quelque obscurs qu’ils soient, demandent une profonde étude. » Qui parle ainsi ? Un homme de haut esprit et de goût excellent qui a eu le vif sentiment des nécessités que nous signalons, M. Vitet.

Nos riches musées sont là, qui réclament la double lumière de l’esthétique et de l’histoire de l’art. On peut observer quelle transformation le seul progrès de l’esprit public y a déjà introduite. On peut calculer, en comparant ce qui a été fait dans certains musées étrangers, ce qui nous reste à faire. Le temps n’est pas éloigné, — mais il est passé pour toujours, — où nos galeries faisaient commencer l’art antique à Phidias, l’art moderne à Raphaël, l’art français au siècle de Louis XIV. L’art romain y effaçait aisément ce qu’on aurait pu y montrer d’œuvres grecques. On n’imaginait pas qu’un morceau mutilé pût avoir quelque prix. L’intérêt de la décoration et non celui de l’art guidait les ordonnateurs. Il fallait compléter les statues, refaire un bras, c’est-à-dire un geste, adapter une tête, c’est-à-dire une physionomie, ajouter un attribut… On disposait ces œuvres non pas suivant un ordre logique, mais de façon à ce que l’aspect général satisfît les plus superficiels des visiteurs. Notre musée du Louvre a des traditions, il est vrai, qu’il doit observer : il fait partie du relief et comme du décor national ; il ne saurait devenir uniquement, en dehors du Salon carré, qui doit réunir les chefs-d’œuvre, d’où qu’ils viennent et dans n’importe quel ordre, un simple musée d’étude, historique. Avec quelle ardeur cependant et avec quelle science n’y travaille-t-on pas aujourd’hui à reconnaître les vraies attributions, à discuter les questions d’authenticité, à mettre en lumière notre art français, si longtemps dédaigné ! Qu’est-ce que cela, sinon rendre hommage à l’histoire ? Soyez assuré que