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la reine Ranavalona que depuis les désastres qu’elle a essuyés, la France n’est plus la France, que comme le lion chargé d’ans, elle en est réduite à pleurer son antique prouesse, que dans son affaiblissement elle ne sent plus les insultes, que s’avisât-elle de se fâcher, l’Angleterre et l’Allemagne prêteraient main-forte à l’insulteur. Au lieu de s’entendre avec nous, la reine a envoyé des ambassadeurs mendier de place en place l’assistance étrangère. Ils ont eu de grandes déconvenues. En Angleterre, on leur a fait comprendre qu’on avait pour eux beaucoup de sympathie, mais que la sympathie n’est pas de l’aide, qu’on tenait à ne pas se brouiller avec nous. A Berlin, M. de Bismarck leur a signifié qu’ils n’avaient rien à espérer de lui, qu’il voyait avec plaisir la France se distraire de ses chagrins, qu’il n’avait garde de lui envier les consolations lointaines qui lui servent à tromper ses regrets. Sur ces entrefaites, le canon français a grondé. Majunka comme Tamatave ont été bombardées et occupées par l’amiral Pierre, et les douanes hovas sont dans nos mains. Dieu nous préserve d’abuser de notre facile victoire ! Personne parmi nous ne se soucie de conquérir Madagascar. Cette grande île, plus étendue que la France, n’a que quatre millions d’habitans et ne pourrait être qu’une colonie de peuplement ; ce ne serait pas nous qui la peuplerions. Nous possédons des gages qui doivent suffire pour nous faire rendre justice, sans que nos marins et nos soldats aient la peine de grimper jusqu’à Tananarive par un pays sans routes, à travers des montagnes dont les rivières ne sont pas navigables. Contentons-nous d’obtenir un bon traité, qui nous garantisse de toute lésion, de tout dol. Notre gouvernement, nous n’en doutons pas, fera aux Hovas des conditions très modérées. Par respect pour le principe que le sol appartient au souverain, nous éviterons de réclamer le droit de propriété ; des baux à très long terme et renouvelables en tiendront lieu. En revanche, nous ferons bien de nous assurer que le droit de réquisition pour la corvée dont jouit la reine Ranavalona n’exposera pas nos planteurs ou nos sucreries à se voir enlever du jour au lendemain tous leurs ouvriers indigènes.

Les Hovas ont leurs qualités que personne ne leur conteste. Ils ne sont point sots, leur esprit est souple comme leurs doigts. Ils s’entendent à forger le fer comme à cultiver le riz et le manioc. Ils sont beaux parleurs, et ce n’est pas sans raison que leur langue harmonieuse et sonore a été surnommée l’italien de l’hémisphère austral. Ils ont l’imagination fleurie, le génie de la métaphore ; ils appellent le soleil « l’œil du jour, » leurs soldats « les cornes du royaume ; » les crocodiles même, à les en croire, sont sensibles aux charmes de leur éloquence. Ces beaux parleurs sont les plus polis des sauvages, mais rien n’est plus dangereux qu’un sauvage poli et verbeux. Quand un Malgache vous parle de sa maison, il dira toujours : notre maison. C’est une manière