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logement, sa nourriture, ses vêtemens, il dépense 4 fr. 75 par jour, son épargne quotidienne sera de 0 fr. 25 c. L’épargne de dix individus sera de 2 fr. 50 c. ; celle de cent individus sera de 25 francs…

Considérons la France tout entière comme un groupe de travailleurs. S’il y avait une population de 80 millions de Français au lieu de 40 millions, chaque Français individuellement ne ferait pas une plus grande épargne ; mais l’épargne annuelle de la France, c’est-à-dire sa richesse, serait le doublé de ce qu’elle est aujourd’hui.

On dira, il est vrai, que l’éducation d’un enfant coûte quelque chose, et que le travailleur qui, s’il n’a pas d’enfans, pourrait économiser 0 fr. 25 par jour, ne peut plus, s’il a un ou plusieurs enfans, réaliser aucune épargne.

Assurément, pendant les quinze premières années de la vie, les enfans sont consommateurs, non producteurs ; ils coûtent et ne rapportent rien. Mais, au bout de quinze ans, ils deviennent producteurs à leur tour, compensant, et au-delà, par le travail qu’ils fournissent étant adultes, l’argent qu’enfans ils ont coûté à la famille et à la patrie. Les gens à courte vue seront alors très satisfaits ; ils se contenteront de ce résultat, répétant cette vérité incontestable qu’un peuple où il y a peu d’enfans a moins de dépenses qu’un peuple ou il y a beaucoup d’enfans. Mais attendez vingt années, et vous verrez ce qui adviendra. le peuple peu avisé, qui n’a pas su s’imposer le sacrifice d’élever des citoyens pour l’avenir, sera puni dans sa prospérité même ; il sera écrasé par le commerce, l’industrie, les armées, les flottes des pays très féconds en hommes.

L’extension de notre commerce, le développement de notre exportation, l’augmentation de notre flotte, l’exploitation de notre sol, à qui pouvons-nous de voir tous ces élémens de richesse, sinon à nos compatriotes ? Ce ne seront ni les Anglais, ni les Allemands, ni les Italiens, qui auront à s’en charger. Plus les Français seront nombreux, plus sera important le travail de la France ; plus sa richesse sera considérable, plus son épargne sera forte.

Faisons cette hypothèse que la population de la France est de 100 millions d’habitans. Quelle puissance serait la nôtre ! Notre industrie couvrirait le globe. Notre langue serait parlée partout. Des flots d’émigrans iraient dans les pays lointains, non cultivés encore, comme le Congo, Madagascar, le Sénégal, le Soudan, porter jusqu’en ces régions vierges notre nom, notre influence, notre civilisation. Ils y fonderaient les colonies qui seules sont durables, les colonies où il y a des colons.

Quant à l’indépendance, ce trésor des trésors, ce bien, le plus précieux de tous les biens, de quoi dépend-elle, sinon de la force militaire et de la puissance financière, toutes deux étroitement liées au nombre des habitans ? Est-ce qu’un petit pays possède la véritable indépendance ? La Grèce est-elle aussi libre que la Russie ? Le