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Danemark a-t-il autant d’indépendance que l’Allemagne ? Oublie-t-on qu’hier encore il était écrasé par ce puissant voisin, et qu’il est chaque jour forcé de s’humilier devant lui ? Si nous laissons de côté cette fiction de la neutralité, est-ce que la Belgique et la Suisse ont leur autonomie assurée aussi bien que les grands pays qui les entourent ? S’il y avait 100 millions d’Allemands à côté de 30 millions de Français, l’indépendance française aurait vécu.

Voilà des causes qui me font regarder comme un très grand malheur et un redoutable danger l’infécondité croissante, voulue ou fatale, de notre pays.

Mais ce sont des raisons qui paraissent sentimentales à quelques-uns. Ils répéteraient volontiers cette sage parole de je ne sais plus quel réaliste ; Primo vivere, deinde philosophari. On n’est pas rassuré sur l’alimentation ; on craint que le sol manque à l’homme et que les vivres fassent défaut. Certes oui, dans cinq ou six siècles, si les populations continuent à croître avec autant de rapidité qu’elles ont fait depuis 1815, le sol de notre petite planète ne pourra produire assez de blé, de riz, et de pommes de terre, ou nourrir assez de bétail pour satisfaire aux besoins de l’immense famille humaine. Mais cette époque n’est pas venue encore. M. Wiener racontait l’autre jour, à la Société de géographie, qu’il avait, de l’embouchure des Amazones jusqu’aux Cordillières, parcouru 8,000 kilomètres dans un pays aussi fécond que désert. Cela représente évidemment une culture de quelque importance. Et l’Amérique du Nord, et le Mexique, et l’Australie, et l’Afrique tout entière ? Ces pays ne sont cultivés et exploités par l’homme que sur une minime parcelle de leur surface. Admettons même que, dans trois siècles, la population humaine ait atteint les limites compatibles avec les ressources agricoles de notre globe. Au point de vue français, — quia quelque intérêt, je pense, — sera-t-il indifférent qu’il y ait alors 50 millions ou 500 millions, de Français ?

En définitive, cette question des subsistances peut se poser ainsi : « Pourrait-il exister en France plus de Français qu’il n’y en a aujourd’hui ? »

Un seul exemple va suffire à juger la question. A côté de nous est un petit pays, la Belgique, dont la prospérité est incontestable. La densité de la population y est extrême, de 190 habitans par kilomètre carré. La France, au contraire, n’a que 70 habitans par kilomètre carré. Par conséquent, si la population de la France était de 100 millions d’habitans, elle serait encore, par rapport à sa surface, moins peuplée que lia Belgique. Cependant je ne crois pas que tous les Belges meurent de faim. Assurément leur sol ne peut les nourrir ; mais l’industrie et le commerce suppléent au déficit agricole. Pourquoi défendrait-on à la France de faire de même ? Pourquoi nous serait-il interdît d’exploiter nos mines, de fabriquer des produits industriels, de faire la banque, de