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dit, faire quelque chose pour les ouvrier, et jusque-là, il est bien aisé d’être d’accord. La pensée est assez simple pour séduire, pour rallier tout le monde ; mais il est impossible de méconnaître que ce qu’on a fait, sous prétexte de montrer de la bonne volonté, peut préparer une situation singulièrement difficile, que cette prétendue réforme à laquelle on se prête est une concession à des idées de radicalisme politique ou social encore plus qu’une satisfaction accordée à des intérêts légitimes. Avec ces syndicats et ces fédérations d’ouvriers de professions diverses qui seraient désormais autorisés, on crée, en définitive, une puissance nouvelle, on reconstitue, sans le vouloir peut-être, une classe dans la société française, où la révolution de la fin du dernier siècle a effacé légalement toutes les distinctions de classes. On donne à des ouvriers, ou plutôt à leurs chefs, les moyens de concentrer dans des guerres de coalitions et de grèves de telles forces que toutes les conditions de la vie industrielle peuvent en être troublées : chose toujours redoutable, particulièrement grave dans un moment où l’industrie française entre dans une crise qui peut s’étendre et se compliquer étrangement par les progrès de la concurrence étrangère aussi bien que par la diminution du travail intérieur. Le sénat a refusé une première fois d’admettre ces fédérations entre syndicats d’ouvriers. Ce que le sénat a supprimé, la chambre des députés vient de le rétablir, et là encore tout n’est pas fini ; le débat reste ouvert sur une question aussi délicate que périlleuse. — Ce n’est pas tout : on ne s’occupe pas seulement des ouvriers ; on veut en même temps remanier toutes nos institutions militaires. Depuis plus d’un an, des commissions préparent, sans parler de bien d’autres choses, une loi nouvelle de recrutement réduisant la durée du service, une loi constituant une armée coloniale, une loi créant une artillerie de forteresse. Les intérêts de notre armée sont au nombre des problèmes qu’on ne redoute pas. Il y aussi maintenant, les conventions nouvelles avec les chemins de fer qui se lient à une situation financière devenue assez critique pour qu’on cherche les moyens de couvrir ou de pallier des déficits toujours croissans.

Évidemment la plupart de ces lois sont destinées à rester pour l’instant en chemin, d’autant plus que, fussent-elles déjà votées au Palais-Bourbon, elles ont encore à revenir au sénat, qui a bien le droit de prendre son temps, de réformer à son tour les lois qu’on lui renvoie, comme il réforme en ce moment même la loi sur le personnel de la magistrature. On votera peut-être avant de se séparer, et ce sera beaucoup, les conventions avec les compagnies de chemins de fer, parce qu’il faut bien savoir à quoi s’en tenir, sur quoi l’on peut compter pour régler le budget. Les lois militaires resteront inévitablement en suspens, et notre armée attendra en patience les élucubrations des grands réorganisateurs radicaux qui disposent d’elle provi-