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depuis quelque temps. La première de ces questions qui se rattache aux affaires égyptiennes est celle du canal de Suez, de la création éventuelle d’un second canal à travers l’isthme. Les Anglais, maintenant qu’ils sont à peu près maîtres de l’Egypte, ne cachent plus leur désir violent de mettre la main sur cette grande route maritime des Indes. Ils iront au besoin, ils le répètent tous les jours, jusqu’à ouvrir un autre canal ; ils sont prêts à tous les sacrifices pour atteindre leur but. Or, c’est sur ce point que M. Bright n’a pas craint de parler librement à ses compatriotes un peu oublieux. Il leur a rappelé que, si le canal de Suez s’est fait autrefois, c’est malgré l’opposition de lord Palmerston, sans que les Anglais aient contribué pour 5 livres au capital primitif de la compagnie, par l’énergie d’un Français, M. de Lesseps, et il s’étonne qu’aujourd’hui on parle légèrement de sacrifier des millions de livres et des milliers d’existences humaines pour s’emparer d’une œuvre dont on aurait empêché la réalisation si on l’avait pu. Quant à un second canal, il a soutenu sans hésitation que, si cette œuvre nouvelle était nécessaire, elle devait être entreprise « avec la France, non contre elle, » que vouloir agir d’autorité, sans respecter les intérêts français, sans accord préalable, c’était « soumettre la cordiale amitié des deux peuples, déjà si ancienne, à une tension aussi peu désirable que hautement dangereuse. » On n’a pas pardonné au vieux libéral de parler ainsi de ce qui est aujourd’hui l’objet des plus ardentes ambitions anglaises, surtout de traiter avec quelque dédain les « armateurs et spéculateurs » qui s’efforcent d’imposer au gouvernement une politique de rupture avec la France dans les affaires d’Egypte ; mais ce qui a peut-être encore plus irrité certains Anglais, c’est l’opinion fort libre et assez ironique que M. Bright a exprimée au sujet des irritations et des inquiétudes que soulève l’idée du tunnel sous-marin de la Manche. Chose à remarquer ! c’est surtout parmi les militaires que cette idée rencontre l’opposition la plus vive. Lord Wolseley, il y a quelques mois, et tout récemment le commandant en chef de l’armée, le duc de Cambridge, se sont montrés devant la commission parlementaire du tunnel les adversaires résolus du passage sous-marin et ils n’ont pas caché les raisons de leur opposition. Ils ont prétendu qu’une communication de ce genre pouvait exposer l’Angleterre à un péril d’invasion, que dans tous les cas elle impliquait la construction de coûteux ouvrages de défense à Douvres, la transformation de l’état militaire, l’organisation d’une force permanente assez sérieuse pour pouvoir toujours faire face au danger. A la vérité, on ne voit pas bien comment le danger pourrait être aussi grave que le disent des militaires si compétens, par quels procédés une armée entière cheminant sous les eaux s’ouvrirait un passage au-delà de la Manche, ou de quelle manière on pourrait s’emparer de l’ouverture du tunnel pour déboucher tranquillement et s’établir militairement à Douvres. Il faudrait un ensemble de circon-