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surtout les étudians et les jeunes gens que les nécessités de l’école maintiennent à Paris, loin de leur famille. Un règlement d’une extrême douceur où la main de l’administration ne se fait pas sentir, une certaine tendresse dans les soins prodigués aux malades remplaçaient à peu près les dorloteries que l’on trouve auprès du foyer natal. Quoique j’aie vu des convalescens jeunes et chevelus causer entre eux dans le jardin, pendant que je me promenais sous le berceau de vigne vierge avec le père provincial, je doute que la maison soit fréquentée par les « escholiers » d’aujourd’hui. Lorsque la maison fut ouverte en 1842, les chemins de fer étaient rares et les diligences s’en allaient lentement au long des routes. À cette heure, il n’en est plus ainsi ; dès que l’on se sent un peu souffrant, on monte en wagon et l’on retourne au pays chercher les gâteries maternelles. Si l’accident est subit, le télégraphe a vite fait d’en porter la nouvelle ; la mère, les sœurs accourent, et l’étudiant ne reste plus isolé comme autrefois dans la chambrette de son auberge. Je n’ai point parcouru la liste des pensionnaires, je ne puis donc savoir à quelle catégorie de monde appartiennent les malades qui viennent demander secours aux descendans de Jean de Dieu, mais j’imagine que ce sont des rentiers vivant seuls, des hommes veufs et sans enfans, des fonctionnaires en retraite, des prêtres, des officiers de marine, des soldats qui respectent le dévoûment des frères hospitaliers, parce que leur vie à eux-mêmes n’a été qu’une expansion de dévoûment. Le champ de bataille est différent, mais la lutte est pareille et l’abnégation est la même.

C’est dans la petite maison de la rue Oudinot qu’est venu mourir un homme que j’ai connu, que j’ai aimé et pour la mémoire duquel je conserve une vénération sans alliage. Je parle du général Félix Douay. Ce fut un homme de guerre dans la haute exception du mot ; il eut pour la France un amour passionné, et il envia le sort de son frère qui tomba à Wissembourg et ne vit pas jusqu’où pouvaient descendre nos désastres. Il était de race militaire et avait écouté souvent le récit des campagnes de son père, ancien officier de l’empire, qui commandait la compagnie des sous-officiers-vétérans auxquels la garde du palais du Luxembourg était alors confiée. Il rêvait de voyages et d’expéditions lointaines. Né à Paris le 14 août 1816, il se présenta en 1832 aux examens pour l’École navale ; il échoua et s’engagea comme novice au port de Brest. Il navigua sur l’Orion, sur le Lutin, employé à la timonnerie, travaillant en ses heures de loisir et ne voyait pas s’approcher le moment où les aiguillettes d’aspirant flotteraient à son épaule. On venait de créer le corps de l’infanterie de marine, il put y entrer en qualité de fourrier. En prenant terre, il mit le pied sur son véritable élément. Il tenait