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incapable, dans ces heures troublées, d’une perfidie, jamais personne ne craignit moins la mort, et l’on verra avec quelle intrépidité d’âme il prévit et supporta sa destinée. Indifférent aux injures, poursuivi avec acharnement par les méfiances et les haines quand elles s’irritèrent à l’excès contre cette ombre de pouvoir, il se confia trop dans l’honnêteté de ses sentimens et ne put pas marcher le pas rapide de l’opinion. Il eût de bonne heure écouté le découragement qu’apportent les mécomptes, s’il n’eût été soutenu par son affection désintéressée pour la personne du roi, par l’amitié qui l’unissait à Lafayette et par ses convictions constitutionnelles. Suspect longtemps à la reine, Montmorin ne cessa cependant de rester fidèle. Les fautes que lui fit commettre Louis XVI sont aussi nombreuses que les situations fausses dans lesquelles les indécisions du roi et sa double politique le placèrent ; Montmorin ne se plaignit jamais et s’exposa toujours avec témérité. Convaincu à tort qu’en achetant quelques orateurs de club, il contre-balancerait les déclamations furieuses, il n’écartait pas les périls auxquels ses infidèles agens l’exposaient. Il répondait à des amis qui s’effrayaient : « Je conviens de la vérité de vos représentations ; mais aucun danger personnel ne m’empêchera jamais de faire tout ce que je croirai utile à Sa Majesté. » Et à côté de ces qualités rares en révolution, ses connaissances acquises, l’extrême justesse de son jugement, lui assuraient dans la direction des affaires étrangères, avant l’explosion de la politique girondine, l’estime de l’Europe.

On peut diviser en trois périodes son ministère depuis la convocation des états-généraux : la première, où, d’accord complètement avec Necker, désirant comme lui une constitution, il s’approcha du système politique de l’Angleterre, et conserva l’espoir d’obtenir par les voies de la conciliation ce changement de la noblesse et du roi ; la seconde période dans laquelle, voyant la révolution varier d’objet, poursuivre l’égalité plus que la liberté et rêver l’établissement d’une sorte de démocratie royale, il tenta avec Mirabeau d’arrêter les exagérations et de créer le parti modéré au milieu des tourmentes populaires ; la troisième période enfin, où, tous les moyens de se défendre manquant successivement à la royauté, Montmorin concentra tous ses inutiles efforts à sauver la personne même de Louis XVI. Ce fut le temps où il écrivait au comte de La Marck ce billet désespéré : « l’ai pleuré ce matin comme un imbécile chez le roi ; il en a fait autant. Tout cela ne remédie à rien. »

Avant d’entrer par cette porte des larmes, il faut donner quelques éclaircissemens sur la conduite de Montmorin pendant le passage aux affaires du cardinal Loménie de Brienne, dans ces mois où les esprits inquiets et ne sachant où se fixer attendaient et appelaient le retour de Necker comme un messie.