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La république des Provinces-Unies se trouvait agitée de troubles intérieurs. Depuis la paix de 1788, les états-généraux, en lutte ouverte avec le stathouder héréditaire, le prince d’Orange, s’appuyaient sur la France. Dans une contestation survenue entre l’empereur Joseph et la Hollande, notre intervention avait été souveraine ; le cabinet de Versailles avait même consenti à payer une indemnité. Un traité d’alliance et de garantie mutuelle des droits des neutres vis-à-vis de l’Angleterre avait encore resserré depuis nos liens d’amitié avec les Provinces-Unies. Le stathouder en était exaspéré. La mort du grand Frédéric changea subitement la face des choses. La princesse d’Orange était la sœur du nouveau roi de Prusse, Frédéric-Guillaume ; la conciliation avec les états-généraux devint impossible. Les patriotes, commandés par d’Averhoot, le 9 mai 1787, battirent les troupes du prince d’Orange. Il fut forcé de quitter sa résidence ; les états déclarèrent l’union rompue. Au moment où les esprits étaient le plus animés, la princesse partit de Loo pour se rendre à La Haye. Arrêtée par un poste militaire, on ne lui permit pas de continuer sa route, elle se plaignit avec emportement et demanda à son frère une réparation éclatante. Le roi de Prusse fit avancer vingt mille hommes, sous les ordres du duc de Brunswick. Le comte de Montmorin, stimulé par les patriotes hollandais, promit qu’un corps d’armée de vingt mille Français allait être réuni à Givet. La seule présence d’un camp sur notre frontière aurait décidé Frédéric-Guillaume à négocier. L’archevêque de Sens ne voulut jamais consentir, à créer des ressources pour cette démonstration militaire ; le ministre de la guerre, le maréchal de Ségur, se refusa alors à prendre des mesures insuffisantes ; les troupes prussiennes n’hésitèrent plus à entrer sur le territoire des Provinces-Unies. Le duc de Brunswick a dit lui-même, depuis son expédition, que s’il y avait eu quelques tentes à Givet, il n’aurait pas continué sa marche. Le roi de Prusse ne voulait pas, dans l’intérêt seul de sa sœur, s’engager avec la France dans une guerre dont la maison d’Autriche n’aurait que trop profité.

Cependant l’Angleterre avait armé en même temps que la Prusse. La cour de Versailles donna enfin des ordres pour mettre en mer une escadre. Montmorin entama une alliance avec la Russie, l’Autriche et l’Espagne. Au grand étonnement de l’Europe, surprise de notre hésitation, l’archevêque de Sens proposa au cabinet anglais de signer une convention de désarmement. Cette convention enleva tout à la fois au gouvernement français l’estime de ses rivaux et la confiance de ses alliés. Le projet de quadruple alliance, qui eût peut-être sauvé la Pologne, fut pour toujours entravé ; un secrétaire du comte Oxenstiern en avait trahi le secret, et le comte de Ségur, notre ambassadeur en Russie, fut réprimandé pour avoir