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Montmorin ; il voulait qu’on fit au plus vite le dépouillement des cahiers et que la majorité des vœux fût considérée comme un fait acquis.

Pour bien connaître l’opposition à laquelle se heurtaient dans le conseil ces opinions si raisonnables, il faut se mettre sous les yeux le mémoire autographe de M. de Barentin, le garde des sceaux. La forme de la convocation et l’époque de la tenue des états avaient été l’objet devant le roi et la reine d’une discussion passionnée. Montmorin qualifiait la double représentation du tiers de justice rigoureuse et faisait ressortir la disproportion immense de population et d’intérêts entre les deux premiers ordres et le troisième. Aidés par leurs collègues, MM. de La Luzerne et de Saint-Priest, Necker et Montmorin l’emportèrent. Lorsque, peu de jours après, le conseil eut à déterminer le lieu de réunion des états, Necker voulait que ce fût à Paris, où il croyait conserver l’influence de sa popularité. Montmorin écoutait ; le roi ne disait rien ; on parlait de Tours, de Blois, d’Orléans, de Cambrai : même silence du roi. Pensant qu’un déplacement éloigné le contrarierait, la majorité se rabattit sur Compiègne ; puis Montmorin, se reprochant sa complaisance, nomma Saint-Germain ; , alors Louis XVI prit la parole : « Ce ne peut être que Versailles, dit-il, à cause des chasses. »

Les esprits clairvoyans s’inquiétaient de cette insuffisance de vues. Quinze jours avant l’ouverture de l’assemblée, Malouet avait eu une dernière explication avec Montmorin en présence d’un des prélats les plus instruits, Guillaume de La Luzerne, évêque de Langres. La conversation s’engagea à l’occasion d’un article fort remarqué du cahier du bailliage de Riom. Malouet avait fait voter la résolution de n’attribuer aux états que le droit de consentir et de sanctionner les lois et les impôts. Il laissait l’initiative à la couronne, et il voulait que le ministère en fît le point de départ de sa politique. Mais comme les deux premiers ordres en majorité étaient contraires, l’évêque de Langres, s’emparant de la difficulté avec sa vivacité modeste, proposa l’expédient de réduire les trois ordres à deux. C’était l’établissement d’une chambre haute et le choix d’une constitution anglaise.

Telles étaient les visées de Montmorin. Pourquoi ne fit-il pas prendre au roi immédiatement cette résolution ? C’est qu’il pensait avec Necker qu’un tel changement devait être concerté avec les représentans de la nation. Quand la proposition fut présentée, on n’a pas oublié ce qu’il advint. Montmorin eut à défendre les principes du gouvernement anglais successivement contre le roi, les nobles, et les députés du tiers. Louis XVI, avec son honnêteté indéniable, malgré quelques pas dans l’imitation de la royauté constitutionnelle, subit l’influence de la seule personne qu’il aimât, Marie-Antoinette, et resta au fond le roi d’avant 89. La haute noblesse, les