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(qu’est-ce que cela pouvait être ? ) que le directeur du théâtre de Covent Garden avait impitoyablement refusée ; il avait même péché par récidive, car on a trouvé dans ses papiers une autre pièce, une tragédie peut-être, dont le titre ne nous a pas été révélé par M. Morley. Plus tard, quand il fut installé à Manchester, dans les bureaux de sa maison de commerce, à l’abri des tentations dramatiques, nous le voyons préoccupé de perfectionner son éducation scientifique et littéraire ; il écrit à son frère de feuilleter le catalogue des Longmans et d’y chercher les livres d’enseignement usuel qui pourraient occuper ses longues soirées de l’hiver ; il veut apprendre un peu de latin, et il estime qu’il lui suffira de six mois pour en venir à bout. En même temps, il s’occupe des affaires publiques : dans le petit bourg de Sabden, il organise une propagande pour la création d’écoles primaires ; à Manchester, il s’associe activement à la revendication des franchises municipales ; il écrit des lettres aux journaux ; il publie sa première brochure l’Angleterre, l’Irlande et l’Amérique, qui obtient un certain succès. Avec cela, les voyages. En 1833, il visite la France et vient chercher à Paris des modèles de dessins pour sa fabrique ; l’année suivante, il parcourt la Suisse, qu’il loue fort de ne pas avoir de douaniers ; au printemps de 1835, il s’embarque pour les États-Unis, qu’il visite à la course, en trente-sept jours, qui suffisent pour laisser dans son esprit une admiration profonde et le sentiment presque enthousiaste de l’avenir réservé à la jeune nation américaine. Devant les beautés de la nature, en présence de cette population qui ne vit que pour le mouvement et le travail, il lui semble que le nouveau monde est destiné à reproduire l’image dilatée, agrandie, perfectionnée de la vieille Europe. Dans ces régions dont la découverte est relativement si récente, dans cette seconde édition de la civilisation humaine, il signale, comme étant l’effet d’un dessein providentiel, l’augmentation marquée des proportions en toutes choses, l’accroissement des forces naturelles, le degré supérieur d’activité qui double la puissance de la race, et poursuivant cette observation de voyageur fantaisiste, il rêve à ce que pourrait être à son tour un continent nouveau qui, apparaissant après l’Amérique, comme l’Amérique est venue après l’Europe, introduirait dans l’univers des tableaux encore plus grandioses et une race douée du mouvement perpétuel. Ces Américains, dit-il, ont découvert le minimum de temps qu’il est nécessaire de dépenser au lit et à table ; ils dorment à peine, et ils mangent debout. — Pendant sa tournée de cinq semaines, Cobden fut condamné à faire comme eux ; il visita la région des lacs et les principales cités du littoral, en malle-poste ou en paquebot, ne se reposant qu’aux relais et aux stations, buvant en