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Tocqueville, Gustave de Beaumont, Duvergier de Hauranne, Léon Faucher, Bastiat, etc., notre ligueur donna volontiers une consultation gratuite ; il leur développa un cours de ligue, de réunions publiques, de banquets, de souscriptions, il encouragea même M. Odilon Barrot, en l’assurant qu’il était homme à faire un excellent agitateur dans le genre Bright. Après quoi (c’est lui qui raconte cette jolie scène), il demanda à ses élèves, qui déjà n’étaient plus jeunes, quels étaient le but et la portée de la réforme pour laquelle il s’agissait d’employer les grands moyens. Et quand on lui répondit que la réforme consisterait à augmenter de deux cent mille le nombre des électeurs du royaume de France : « Je fus abasourdi, écrit-il, moi, qui venais de gagner la grande bataille des corn-laws, en apprenant que ces députés allaient se donner tant de peine pour un aussi piètre résultat ! » — A Paris, Cobden se fit présenter par Léon Faucher à M. Thiers. Nous lisons dans son journal, à la date du 15 août, qu’après avoir pris sa leçon de français (un professeur venait tous les matins lui donner une heure de leçon), il se rendit chez M. Thiers. D’après la note courte et sèche qui mentionne cette entrevue, M. Thiers se montra peu disposé à se laisser endoctriner par le ligueur. Tous comptes faits, Cobden invité, accueilli, toasté chaque soir, avait eu à Paris un succès personnel de curiosité et d’estime, mais il y avait rencontré dans le monde politique une indifférence à peu près complète au sujet des doctrines qu’il voulait importer en France, et il ne lui restait, comme souvenirs vraiment agréables ou utiles, que ses relations avec la Société des économistes et les leçons de son maître de langues.

Passant par Bordeaux, où l’Association pour la liberté du commerce lui donna un magnifique banquet, Cobden se rendit en Espagne, puis en Italie. A la fin de juin 1847, il quitta les régions du Midi pour visiter successivement l’Autriche, la Prusse, la Russie, d’où il revint en Angleterre au mois d’octobre, après avoir fait escale dans les ports hanséatiques. Les extraits de son journal nous le montrent acclamé partout, recevant des adresses, prononçant discours sur discours et recueillant les témoignages bruyans de la popularité qui s’attachait à son nom. L’Italie se distingua par ses manifestations enthousiastes. « Il faut, écrivait Mme Cobden, que mon mari soit vraiment bien modeste pour n’avoir point la tête tournée par tout ce qu’on lui dit. » Ces hommages publics avaient pour effet de vulgariser la doctrine, mais cela ne suffisait pas à Cobden, qui voulait, d’après son programme, convertir les souverains et les hommes d’état, comprenant bien que dans la plupart de ces pays, où l’opinion publique n’avait point la même puissance qu’en Angleterre, la réforme devrait procéder de l’initiative des gouvernemens. Il s’appliqua donc à faire pénétrer son évangile dans les cours et dans les