Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

place libre est immédiatement occupée, car elle est toujours promise et les postulans sont nombreux qui attendent que la mort ou un départ ait rendu un lit vacant.

Les charges de la maison pèsent sur les frères hospitaliers ; chaque jour, il faut nourrir cette marmaille impotente : la charité y pourvoit. Comme les Petites-Sœurs des Pauvres, les frères de Saint-Jean-de-Dieu sont un ordre mendiant ; ils tendent la main pour secourir les petits enfans qui souffrent ; ils vont quêter et reçoivent l’argent ; eux aussi, ils ramassent le vieux linge, les meubles brisés, les ustensiles hors d’usage, qu’ils font servir encore, les vêtemens dépiécés, dans lesquels ils taillent des costumes pour leurs bambins ; lorsque l’on quitte un appartement et qu’ils sont prévenus, ils arrivent et, après les locataires, après les déménageurs, ils recueillent ces mille débris de ménage que l’on croit inutiles et qu’ils savent utiliser. Leur industrie est ingénieuse et il n’est si misérable objet qu’ils dédaignent. Ils acceptent tous les dons en argent et les dons en nature ; mais, contrairement aux Petites-Sœurs des Pauvres, ils ne demandent jamais ce que l’on pourrait appeler les dons alimentaires ; la nourriture consommée dans la maison est achetée. Tous les deux jours, dès l’aube, après matines, la voiture part pour les Halles et fait les provisions nécessaires à l’asile, qui possède, en outre, un bon poulailler, une étable de quatre vaches et un jardin potager. Pour des enfans rachitiques que dévorent les scrofules, l’alimentation doit être substantielle et de choix ; on boit de la bière qui se brasse dans la maison même et qui est forte en houblon ; on cherche à réagir contre la débilité matérielle des pensionnaires, et le premier « repas » est invariablement un verre d’huile de foie de morue.

On a beau faire, on ne peut que les rendre moins faibles, mais on ne les guérit pas, et l’on n’en sera pas surpris si l’on considère que les frères de Saint-Jean-de-Dieu choisissent parmi les enfans ceux qui ne sont point nés viables et qui néanmoins sont condamnés à vivre. La mort s’est trompée, elle les avait marqués au jour de leur naissance, elle a oublié de les prendre ; elle a déçu les craintes et peut-être l’espoir des parens. C’est un spectacle lamentable de les voir réunis. A les regarder, de vieux soldats se sont mis à pleurer. En 1866, on avait organisé une loterie pour venir en aide à l’asile de la rue Lecourbe, qui luttait à grand’peine contre la pauvreté. Les lots avaient été exposés dans une des salles de l’hôtel des Invalides. Le frère supérieur voulut aller remercier le gouverneur de la courtoisie dont il avait fait preuve. On partit avec les pensionnaires, les uns à pied sur leurs béquilles, les impotens dans des voitures ; arrivés à l’hôtel, les frères prirent