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étaient libre-échangistes et qui semblaient défendre un principe d’indépendance. Il ne tarda pas, sous l’influence de M. Bright, à se prononcer en faveur des états du Nord, dont le triomphe pouvait seul assurer définitivement la suppression de l’esclavage. Mais ce qui attira particulièrement son attention, ce fut l’insuffisance du droit international maritime qui livrait la fortune privée des belligérans et les intérêts des neutres à toutes les calamités de la guerre, et il jugea l’occasion favorable pour recommander les principes plus civilisés, plus humains, qui avaient été inscrits dans les protocoles du congrès de Paris en 1856 et auxquels l’Angleterre, s’appuyant sur l’écrasante supériorité de sa puissance navale, se croyait intéressée à résister : Bien que Cobden y eût dépensé en-pure perte beaucoup d’éloquence, il éprouva la satisfaction de répéter devant le parlement ses plaidoyers pour la sécurité- du commerce maritime et de faire pénétrer plus avant dans le sentiment public une doctrine libérale qui s’imposera un jour à tous les gouvernemens.

Quant à l’affaire des armemens, ce fut entre Cobden et lord Palmerston la reprise ou plutôt la continuation de la vieille querelle, que n’avait pas même interrompue la période des négociations commerciales avec la France. Le duel de 1862 ne fut pas moins acharné que ne l’avaient été les anciennes passes d’armes. De part et d’autre, l’obstination était égale. Plus d’une fois, Cobden, au jugement de la galerie, porta de rudes coups au premier ministre. Mais il s’épuisait dans une lutte où il lui était impossible de vaincre. Il n’avait comme soutien, à l’heure du vote, qu’un petit groupe de fidèles, une école et non un parti. Les whigs ainsi que les tories, et même les radicaux, songeaient avant tout à ne point se compromettre devant le pays, et, comme cela arrive trop fréquemment sous les régimes parlementaires, les chefs de parti, qui auraient dû éclairer l’opinion publique et la retenir ; préféraient la suivre à l’aveugle et se laisser emporter par elle. Or il est certain qu’à cette époque la majorité du peuple anglais avait encore le cauchemar de l’invasion. La nation voulait être armée, elle applaudissait à toutes les mesures destinées à la défense, elle accueillait, elle provoquait même tous les sacrifices, et tandis que, chez d’autres peuples, le patriotisme inspire l’excès de confiance, en Angleterre, le patriotisme engendrait la panique. Il faut donc reconnaître, pour être équitable, que le parlement et le cabinet n’auraient pu résister que très difficilement à la pression du sentiment national. Cobden comprit lui-même qu’il ne réussirait pas à convaincre la chambre des communes ; il s’adressa au pays par une brochure, les Trois Paniques[1], où il démontra

  1. La brochure de Cobden, les Trois Paniques, a été traduite en français par M. Xavier Raymond (1862).