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teur et Périclès, entre le sage législateur et le grand politique. Ce sentiment en lui-même n’a rien que de bon. Il ne faut pas, dans l’appréciation des causes, trop restreindre la personnalité des hommes remarquables ; et, pour ma part, j’applaudis bien volontiers à l’esprit d’une critique qui craint de diminuer les grands hommes. Mais j’y applaudis surtout quand elle s’appuie sur les faits et qu’elle n’est que l’interprétation légitime des documens. C’est ce qui fait la valeur d’un jugement sur Démosthène, qui termine l’ouvrage, et sur lequel je m’arrêterai pour finir. Ce sont des pages caractéristiques ; elles forment presque une conclusion et achèvent de mettre en lumière quelques-unes des principales idées de l’auteur.

Le caractère de Démosthène a été attaqué dès l’antiquité. La violence des haines soulevées contre lui avait laissé des traces, qui, recueillies, au moins depuis Plutarque, par les collecteurs d’anecdotes, sont restées attachées à son souvenir. Sa probité dans son rôle d’avocat et même dans son rôle politique, principalement au sujet de l’affaire d’Harpale, est encore discutée aujourd’hui. Reconnaissons à son honneur que les historiens qui embrassent toute la suite des faits (ce n’est pas le cas d’un de ses adversaires, M. Droysen, qui ne commence qu’au règne d’Alexandre) et qui se placent, pour le juger, au point de vue général des intérêts athéniens, lui sont favorables. Très sensible chez M. Grote, cette disposition est encore plus nettement marquée chez M. Curtius.

Démosthène, pour lui, c’est le dernier, peut-être même le plus grand dans la glorieuse série des hommes, qui, depuis l’établissement de la constitution de Solon, ont eu, aux momens décisifs, le sens de la mission d’Athènes, Miltiade, Thémistocle, Aristide, Cimon, Périclès. Il se rattache plus directement à Thémistocle et surtout à Périclès. Cette pensée qui fait consister la valeur d’un homme d’état athénien dans l’intelligence des destinées naturelles de son pays paraît avoir sa première origine dans une des vues principales de Thucydide, que M. Curtius avouerait certainement pour son maître. Non que l’historien ancien l’exprime sous la forme d’une proposition abstraite, mais elle ressort de la place qu’il attribue à Thémistocle et à ses idées dans la courte et substantielle introduction de son ouvrage, en même temps que des profondes analyses qui remplissent les discours prêtés par lui à Périclès. M. Curtius la met dans tout son jour par un parallèle qu’il établit entre Périclès et Démosthène. Il affirme que ces deux grands citoyens se rejoignent par-dessus la période de vide et d’immobilité qui suit la guerre du Péloponnèse, qu’avec le second recommence l’histoire interrompue de la république athénienne, et, pour expliquer et