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conforme par conséquent aux habitudes d’esprit de M. Roller, qui est pasteur protestant ; d’où plusieurs, sans doute, ne manqueront pas de dire qu’elle n’est pas née des faits et de leur analyse indépendante et impartiale, mais les a précédés et parfois déformés.

Au point de vue philosophique, cette thèse est peut-être plus vraie que celle qui affirme l’unité et l’identité absolues à travers les vicissitudes du temps. L’immobile n’est pas de ce monde, et l’histoire a pour matière ce qui change. Dès l’âge apostolique, sans doute, toutes les âmes fidèles n’étaient pas jetées dans le même moule. Le tour d’esprit, le caractère individuel, l’humeur, la culture intellectuelle, la façon de sentir et de comprendre le maître, introduisirent bien des différences au sein d’une même foi et d’espérances communes. Pierre-et Paul, les deux maîtresses colonnes de l’église, les deux acolytes de Jésus dans tant de monumens figurés, ne se sont-ils pas querellés à Antioche ? Celui-ci n’accusait-il pas celui-là de judaïser ? N’ont-ils pas représenté dans l’église deux tendances diverses, et leurs disciples n’ont-ils pas accrut un moment ces divergences au point de les transformer en divisions en apparence irréconciliables ? Plus tard, sans parler des hérétiques et de leurs entreprises, que de variétés ! Est-ce que Tertullien, si ami de la tradition, entendait la vie chrétienne comme les opportunistes de Rome ? Est-ce qu’Origène comprenait la doctrine nouvelle comme les illettrés de son temps ? Cependant, si la grande Antioche, le centre le plus important des premières missions apostoliques, avait des catacombes chrétiennes, et qu’elles nous fussent ouvertes, il est permis de croire qu’on y trouverait le même trésor de croyances implicites, les mêmes effusions de piété et d’espérances que nous fournissent les cimetières souterrains de Rome. Le temps a fait son œuvre ensuite. Il a éliminé et passé au crible bien des idées, déterminé ce qui était confus, fixé en formules une foi ondoyante et diverse, établi successivement la hiérarchie, les rites et les dogmes. Le christianisme avant d’être une institution et, en Orient surtout, avec ses patrons impérieux, les princes chrétiens, une institution d’état, n’a été qu’une foi assez large pour prétendre embrasser le monde. L’église qui déjà, au milieu du IIIe siècle, est comme une vaste cité, munie de tous ses organes vitaux, et, comme disent ses interprètes officiels, une milice, n’était au Ier siècle qu’une association d’âmes éprises d’idéal, mal satisfaites des grossièretés, du vide, des sécheresses et des routines des religions établies, éprises d’un ciel plus pur et plus largement ouvert et aspirant avec une ardeur extraordinaire au royaume de la justice, de la lumière et de la paix que le divin maître avait annoncé.

Je me trompe fort, ou toutes les idées que la critique a, depuis