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gers comme M. Clemenceau, ou tout simplement par le choix de M. Chamberlain comme président du banquet ? Peu importe, c’était une protestation très décidée contre l’envahissement croissant du radicalisme, et M. Chamberlain, relevant le défi, a lestement traité ces dissidens, qui tiennent à demeurer des libéraux sans aller jusqu’à être des révolutionnaires. Déjà, il y a quelques jours, aux fêtes de Birmingham pour le jubilé parlementaire de M. Bright, le président du « Board of trade développait ses théories radicales avec une hardiesse qui devait quelque peu effaroucher l’esprit mesuré de son collègue lord Granville. Au banquet du Cobden-Club, il a renouvelé sa profession de foi avec une âpreté singulière ; il n’a certes pus caché son drapeau, il est resté l’homme d’une politique proposant une réforme électorale qui irait jusqu’au suffrage universel, menaçant la pairie dans son existence, l’église anglicane dans ses droits, dans son influence traditionnelle. M. Chamberlain ne laisse échapper aucune occasion de déployer son programme, de sorte que, dans cette vieille Angleterre, on peut voir en toute circonstance un membre du gouvernement, un ministre de la reine en guerre avec les principes sur lesquels repose la constitution britannique. Le spectacle est certes étrange. Ce qu’il y a de plus curieux, c’est la manière dont M. Chamberlain explique cette anomalie et sa position dans le conseil. Comme allié des libéraux modérés dans la majorité parlementaire, dans le cabinet, il se soumet à ce que décident les libéraux, il ne se sépare pas d’eux dans les actes de gouvernement ; comme homme, il se réserve la liberté de répandre ses opinions par la parole, de prononcer les discours de Birmingham ou du Cobden-Club, et, si la condition n’est pas acceptée, il ne cache pas à ses alliés qu’il est prêt à les traiter comme de simples réactionnaires, comme il a traité l’autre jour lord Ampthill et M. Coschen. En d’autres termes, M. Chamberlain est un ministre qui garde le droit de critiquer le gouvernement et de contredire dans ses discours ce qu’il a fait ou accepté dans le conseil.

C’est là, dira-t-on, une nécessité de la situation parlementaire ; la prépondérance du parti libéral ne peut être maintenue qu’à ce prix, et, si l’on ne passait pas aux radicaux leurs fantaisies, la majorité ne tarderait pas à se dissoudre, le ministère tomberait bien vite. C’est possible ; il est seulement bien clair que ce sont là des combinaisons singulièrement artificielles ou hasardeuses, qu’à tout instant peuvent naître des questions sur lesquelles whigs et radicaux ne seraient plus d’accord, et que les théories extrêmes de M. Chamberlain ne sont pas de nature à préparer une fusion sérieuse de tous les libéraux anglais. Tant que M. Gladstone est à la tête du ministère, il peut maintenir une certaine cohésion dans l’armée parlementaire qui, depuis les dernières élections, l’a porté et soutenu au pouvoir. Le jour où il dispa-