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de votre confiance? C’est la loyauté envers tous les partis qui divisent la France, qui divisent l’assemblée... Je dirai donc: Monarchistes, républicains, non, ni les uns ni les autres, vous ne serez trompés. Nous n’avons accepté qu’une mission, déjà bien assez écrasante, celle de la réorganisation du pays... Lorsque le pays sera réorganisé, nous viendrons ici, si nous avons pu le réorganiser nous-mêmes, si nos forces y ont suffi, si, dans la route, votre confiance ne s’est pas détournée, nous viendrons, le plus tôt que nous le pourrons, bien heureux, bien fiers d’avoir contribué à cette noble tâche ; nous viendrons vous dire : Le pays, vous nous l’avez confié sanglant, couvert de blessures, vivant à peine, nous vous le rendons un peu ranimé; c’est le moment de décider quelle sera la forme définitive de son gouvernement. Et, je vous en donne la parole d’un honnête homme, aucune des questions réservées n’aura été résolue, aucune solution n’aura été altérée par une infidélité de notre part... » Il était certainement sincère en tenant ce langage, en promettant aux monarchistes et aux républicains que rien ne serait entrepris contre leurs droits, en se réservant pour lui-même le devoir d’une impartiale loyauté. C’est ainsi qu’il comprenait le « pacte de Bordeaux, » expédient de concorde et de nécessité qui permettait de concentrer pour le moment tous les efforts sur l’œuvre nationale de la paix, de la libération du territoire et de la réorganisation du pays; mais au fond qu’entrevoyait M. Thiers au-delà ou en dehors de ce « pacte » momentané ? Que pensait-il de la monarchie ou de la république? A quels mobiles avoués ou secrets obéissait-il dans ses actions, dans sa conduite, dans son gouvernement? C’était là, si l’on veut, le nœud de cette situation dramatique.

Ce serait une étrange méprise de croire que M. Thiers ait jamais beaucoup changé dans sa vie. Ce qu’il avait toujours été avec sa vive nature, ses idées et ses instincts, il l’était encore à Versailles comme à Bordeaux, avec ce surcroît d’autorité personnelle qu’il devait à son âge, à une longue et éclatante carrière, à l’expérience des hommes et des révolutions. Il ne désavouait sûrement rien de son passé, de ses opinions, de ses attachemens, de ses souvenirs. Il ne laissait échapper aucune occasion de se dévoiler librement, familièrement; il ne cachait pas qu’il était un vieux disciple de la monarchie. « J’ai pensé toute ma vie, disait-il devant l’assemblée, au gouvernement que mon pays pouvait souhaiter, et si j’avais eu le pouvoir qu’aucun mortel n’a jamais eu, j’aurais donné à la France ce que, dans la mesure de mes forces, j’ai travaillé quarante ans à lui assurer sans pouvoir y réussir, la monarchie constitutionnelle de l’Angleterre... Oui, je trouve qu’on est libre noblement, grandement libre à Washington et qu’on y fait de très grandes choses;