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il y avait des esprits modérés qui gardaient la vive émotion des malheurs de la France et des crimes de la commune. Ils sentaient bien que la meilleure chance de la république était dans la modération, que la fortune du régime nouveau était tout entière dans les conseils de sagesse prodigués par M. Thiers. Au besoin, ils acceptaient par calcul, par tactique, les duretés que le chef du pouvoir exécutif ne leur ménageait pas quelquefois et ils lui offraient même leur concours. Ils se gardaient bien de l’embarrasser par de trop impatientes revendications, de même qu’ils évitaient de mettre en doute l’autorité souveraine de l’assemblée de Versailles. Ils se conformaient aux circonstances; mais le parti républicain, aussi bien que le parti monarchiste, se subdivisait singulièrement, et, à côté des modérés, des tacticiens de la république, il y avait les radicaux de toute nuance, les sectaires, qui ne voyaient en M. Thiers qu’un orléaniste obstiné et dans tout ce qui se faisait à Versailles qu’une usurpation. Ceux-ci, sans tenir compte de l’occupation étrangère, n’avaient qu’une idée fixe, celle de poursuivre, de hâter la dissolution de l’assemblée, qui, selon eux, n’avait été nommée que pour faire la paix et n’avait ni le droit de toucher à la république ni le pouvoir de constituer. Ils saisissaient toutes les occasions d’agiter le pays par des banquets, par des manifestes, tantôt pour l’anniversaire du 4 septembre, tantôt en commémoration de la première république de 1792. M. Gambetta, entre tous, prenait dès ce moment le rôle de chef de parti et menait une campagne de manifestations, allant d’Angers au Havre, de La Ferté-sous-Jouarre à Chambéry, réveillant partout les passions. Il prononçait particulièrement à Grenoble, dans l’automne de 1872, un discours enflammé où il traitait brutalement l’assemblée souveraine de Versailles, représentée comme un « cadavre » qui n’attendait plus que la « dernière pelletée de terre du fossoyeur. » Il faisait appel à ce qu’il désignait, pour la première fois ce jour-là, sous le nom baroque de « nouvelles couches, » s’écriant avec emphase : « Oui, je pressens, je sens, j’annonce la venue et la présence dans la politique d’une couche sociale nouvelle qui est loin, à coup sûr, d’être inférieure à ses devancières... »

Ces étranges républicains avaient de l’à-propos dans leurs fêtes et dans leurs pronostics ! Ils ne s’apercevaient pas que, par leurs agitations et leurs déclamations, ils justifiaient toutes les craintes des conservateurs, ils offensaient l’assemblée et ils compromettaient la république en créant au gouvernement de nouveaux embarras. Le gouvernement ne pouvait que remplir son devoir en interdisant ou en réprimant des manifestations injurieuses pour le pouvoir souverain, et M. Thiers lui-même, devant la commission de permanence de Versailles, traitait sévèrement ces turbulences qui