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la libération du territoire, et l’inconnu sans titres, sans passé, Paris choisirait le dernier? M. Thiers, confiant jusqu’au bout, ne pouvait y croire. C’est pourtant ce qui arrivait. Dans la ville qui a si souvent passé pour la plus spirituelle du monde et qui a si souvent aussi la singulière fortune d’être représentée par des inconnus, M. Barodet l’emportait avec 40,000 voix de majorité sur M. de Rémusat! Oh ! certes la victoire des radicaux ne pouvait être plus complète. Seulement, on le sentait dès le lendemain, cette désastreuse victoire avait tout changé et achevait de ruiner une situation. D’un côté, elle affaiblissait et désarmait M. Thiers, frappé directement dans son ministre le plus cher, dans son autorité morale, dans sa politique ; d’un autre côté, elle remplissait d’émotion les conservateurs qui gardaient après tout la majorité dans l’assemblée ; elle donnait raison à leurs craintes, elle ajoutait à leurs griefs, et elle ravivait en eux, avec un sentiment plus net du péril, la résolution de livrer à tout, prix, sans plus de retard, un dernier combat. La victoire des radicaux avait cet unique effet de pousser tout à l’extrême.

Voilà donc où en venait ce drame de deux ans tout mêlé de généreux efforts pour la libération de la France, de travaux de réorganisation et d’ardens conflits de partis. Après avoir passé par une série d’évolutions, de détours et de péripéties, il se précipitait par cette défaite de la politique de transaction que représentait le gouvernement pour se concentrer aussitôt dans une sorte de duel entre l’esprit de radicalisme et l’esprit conservateur. Il s’agissait pour M. Thiers de faire face à cette situation nouvelle, de savoir s’il persisterait dans ses idées, dans sa marche, ou s’il se replierait vers la droite pour tenir tête avec elle à l’ennemi. Il avait été d’abord sans doute vivement ému d’un scrutin qui le blessait, qui contrariait toutes ses vues, qui lui semblait, à lui aussi, fort périlleux. Il ne se laissait pas ébranler néanmoins et, tout bien pesé, il se disait qu’il ne fallait rien prendre trop au tragique, que cette élection du 27 avril tenait surtout à l’incertitude des choses, que le meilleur moyen de combattre le radicalisme était de lui opposer sans plus de retard des institutions précises, une république fortement et sagement organisée. Il pensait ainsi, et sur-le-champ il réglait son plan de conduite. Il avait cru jusque-là devoir garder un ministère compose de façon à donner des gages à toutes les grandes opinions du parlement, à la droite, successivement représentée par M. de Larcy M. de Goulard, aussi bien qu’à la gauche, représentée par M. Jules Simon; il le recomposait maintenant en appelant au pouvoir, à côté du premier de ses coopérateurs, M. Dufaure, des hommes comme M. Casimir Perier, M. Bérenger, M. Waddington, qui partageaient ses idées, qui remettraient l’unité dans le conseil. Il se hâtait en même temps de faire préparer les lois d’organisation