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constitutionnelle que la commission des « trente » lui avait laissé le soin de présenter. Par ces premiers actes, il prenait nettement position; mais ce n’était plus là ce qu’on lui demandait en présence de cette recrudescence de radicalisme qui venait d’éclater à Paris, qui éclatait au même instant ou peu de jours après à Lyon par une autre élection.

Les conservateurs, surpris dans leurs provinces par ce scrutin, revenaient exaspérés, décidés à ne plus se contenter de demi-mesures, de nouveaux compromis. Ils croyaient avoir la majorité dans l’assemblée; par l’élection de M. Buffet à la présidence ils avaient un homme sûr à leur tête pour un jour de combat. Ils trouvaient dans la double élection de Paris et de Lyon un grief plus que suffisant, une raison décisive d’agir, et ils n’avaient pas tardé à se concerter sur un mot d’ordre de bataille qui, en écartant la question délicate de la république ou de la monarchie, pouvait rallier toutes les forces conservatrices, les partisans de toutes les dynasties. Il faut se souvenir de l’état de surexcitation de ces hommes évidemment sincères à cette heure critique. Ils n’entendaient plus rien; ils témoignaient une résolution attristée, mais inébranlable. Ils ne voulaient pas tous de propos délibéré la chute de M. Thiers; ils acceptaient désormais cette chance si M. Thiers refusait de se rendre à leurs vœux, de donner satisfaction à leurs craintes, et les chefs avaient déjà choisi dans leur pensée celui qui pourrait être le successeur du président de la république. On se défiait du regard et du geste avant l’action.

Au moment où l’assemblée, séparée depuis près d’un mois, se retrouvait à Versailles le lundi 19 mai, une émotion extraordinaire régnait dans tous les camps ; on sentait que quelque chose de grave allait se passer. Dès la première séance, tandis que le cabinet se hâtait de présenter ses projets d’organisation constitutionnelle, trois cent vingt membres de la droite, formant déjà presque une majorité, signaient une interpellation demandant des explications sur les dernières modifications ministérielles et sur la « nécessité de faire prévaloir dans le gouvernement une politique résolument conservatrice. » D’un commun accord, la bataille restait fixée au vendredi, 23 mai, et ce jour-là, c’est le duc de Broglie qui se chargeait de l’attaque dans un discours serré, nerveux, élégamment et habilement implacable, qui ne faisait d’ailleurs que traduire les opinions, les griefs, les passions d’une majorité impatiente de ressaisir l’ascendant.

La question pour le duc de Broglie et pour ses amis était tout entière dans les progrès d’un radicalisme qui représentait moins un parti politique qu’un péril social, dont les succès croissans menaçaient d’infliger un jour ou l’autre à la France une « revanche