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coupable. Rien certes de plus émouvant que cette scène matinale où un vieillard chargé de services et de travaux se présentait, prêt à relever tous les défis, à donner toutes les explications devant le parlement, devant le pays, devant l’Europe, « avec la fierté d’une conscience honnête et d’un citoyen dévoué. » Rien de plus saisissant que ce discours où M. Thiers semblait réunir tout ce qu’il avait de raison et d’art, sans déguiser l’amertume qu’il avait dans le cœur, sans dissimuler non plus l’étonnement un peu hautain qu’il éprouvait à voir des hommes beaucoup plus jeunes que lui, disait-il, moins expérimentés que lui dans la vie publique, mettre en doute son esprit conservateur.

Pendant plus de deux heures, il tenait l’assemblée captive, déroulant devant elle ce vaste tableau de l’histoire des deux années depuis 1871, — et la paix reconquise, et la sédition vaincue, et la libération près d’être réalisée, et les finances reconstituées et le pays rendu au travail, à la confiance, et un ordre réparateur succédant à la confusion. Comment tout cela était-il arrivé ? C’est qu’au lieu d’être un gouvernement de combat, comme on aurait voulu qu’il le fût, il s’était toujours étudié à rester un gouvernement de modération et de médiation entre les partis, un gouvernement de gens éclairés résistant à toutes les suggestions extrêmes, s’inspirant dans sa politique de la situation d’un pays dévoré de divisions, partagé entre la république et la monarchie. « Oui, disait M. Thiers, ce qu’il faut dans cette situation, ce n’est pas un gouvernement de parti; c’est un gouvernement qui soit inexorable devant le désordre, impitoyable même jusqu’à ce que l’ordre soit rétabli, jusqu’à ce que la paix soit rendue au pays, et en même temps, quand le combat et le désordre sont finis, devienne calme, impartial, conciliant. Traitez avec dédain cette politique; moi je ne crains les hauteurs de personne. Par ma vie, par mes actes et peut-être par quelques qualités bien modestes d’esprit, je suis capable de supporter ces dédains... Vous pouvez dédaigner cette politique, moi je plains ceux qui ne sauraient ni la comprendre ni avoir le courage de la soutenir. Il m’a fallu bien plus de force de caractère et de volonté pour tenir cette conduite que pour me donner à un parti et lui obéir aveuglément. » C’est avec cette politique qu’on avait pu depuis deux ans pacifier, délivrer le pays, « ranimer le grand blessé, » résoudre les questions les plus urgentes. Et si, maintenant que ces questions se trouvaient à peu près résolues, une autre question avait surgi, celle du choix des institutions, c’est que les partis eux-mêmes, las de se contenir, s’acharnaient à ruiner, à rompre de toute façon une trêve momentanément acceptée. Si dans ces conditions de jour en jour plus laborieuses, plus difficiles, le gouvernement se décidait pour l’organisation de la république, c’est que la république lui