Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/526

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conduite par d’habiles tacticiens qui ne voulaient laisser ni trêve ni répit, qui avaient l’ardente impatience d’en finir. Vainement, dans la séance de l’après-midi, on essayait de ralentir, d’épuiser cette ardeur de combat par une demande d’ajournement au lendemain ou par la proposition de l’ordre du jour pur et simple. Les chefs de la campagne allaient droit à leur but sans s’arrêter. Ils mettaient leur dernier mot, la pensée même de l’interpellation dans un ordre du jour qui, en réservant la forme du gouvernement, affirmait la nécessité d’une « politique résolument conservatrice » et l’insuffisance des récentes modifications ministérielles. C’est cet ordre du jour qui l’emportait au scrutin décisif, frappant à la fois le ministère et le président de la république.

A six heures du soir, le 24 mai 1873, deux années, jour pour jour, après la rentrée de l’armée française dans Paris, M. Thiers était renversé. A la rigueur, il aurait pu se prévaloir encore, il est vrai, du premier acte constitutionnel d’août 1871 qui lui assurait une sorte d’inamovibilité en donnant à son pouvoir la même durée qu’à l’assemblée. Il n’était pas homme à se couvrir d’un subterfuge, à retenir un pouvoir disputé ou amoindri. Il l’avait dit du reste le matin : « Quand votre verdict sera rendu, c’est à moi, à moi seul qu’il sera adressé; c’est pour moi que je le prendrai. » Il le prenait ainsi, en effet, et avant neuf heures, il avait envoyé sa démission à l’assemblée réunie dans une séance du soir; avant minuit, il avait un successeur élu, reconnu et acceptant l’héritage. La campagne avait été certes vigoureusement menée. M. Thiers tombait; mais en tombant il laissait la liberté du territoire assurée, une armée raffermie, les finances reconstituées, la France en paix avec elle-même comme avec l’étranger, l’ordre établi partout. Il avait rempli sa tâche, et le témoignage le plus sensible de l’efficacité réparatrice de son gouvernement, c’était cette révolution même qui faisait passer le pouvoir aux mains du maréchal de Mac-Mahon, qui pouvait s’accomplir sans trouble, sans violente secousse. Il disparaissait, non en vaincu d’un scrutin de hasard, mais en chef d’état emportant dans sa retraite la dignité d’une politique et demeurant pour le pays le personnage consulaire d’une des phases les plus tragiques, les plus émouvantes de l’histoire.


VI.

Ces jours sont passés, et après ceux-ci, depuis dix ans, bien d’autres jours sont passés, tout pleins d’événemens qui n’ont été que le long et orageux conflit de toutes les politiques. Les vainqueurs du 24 mai ont été les vaincus des années suivantes, et ils