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C’était là, dans la pensée de M. Thiers, la condition première, supérieure qui devait être réalisée. La république n’était digne de vivre qu’en restant le gouvernement de tous; elle devait savoir aussi conformer sa politique aux intérêts permanens du pays et régler prudemment sa direction, ses opinions sur deux ou trois points essentiels, — les affaires religieuses, les finances, l’armée. Toutes les fois que M. Thiers rencontrait devant lui les affaires religieuses, il les traitait avec des ménagemens infinis. Lui, qui avait accusé l’empire d’avoir soulevé par sa politique italienne les plus redoutables problèmes, il se serait bien gardé sous la république de troubler ou d’irriter les croyances : « Toucher à une question religieuse, disait-il, est la plus grande faute qu’un gouvernement puisse commettre... Pour moi, affliger quelque nombre que ce soit de consciences religieuses est une faute qu’un gouvernement n’a pas le droit de commettre. Le plus haut degré de philosophie n’est pas de penser de telle ou telle façon, l’esprit humain est libre heureusement; le plus haut degré de philosophie est de respecter la conscience religieuse d’autrui sous quelque forme qu’elle se présente... Désoler les catholiques, désoler les protestans est une faute égale,.. et tout gouvernement qui veut entreprendre sur la conscience d’une partie quelconque de la nation est un gouvernement impie aux yeux mêmes de la philosophie... » Ce n’était pas un clérical qui parlait ainsi, c’était un chef d’état à l’esprit libre, sentant le prix de la paix religieuse, sachant aussi l’importance des clientèles catholiques pour l’influence française dans le monde, et préoccupé de sauvegarder ces intérêts par une libérale application du concordat, « le plus sage traité que les puissances catholiques aient jamais conclu avec le saint-siège. » La république ne pouvait vivre qu’en observant sagement ce sage traité, en s’imposant une politique de respect pour le « culte national, » pour la « paix des âmes, » et pour les traditions françaises.

Le soin que M. Thiers mettait à fixer des principes de conduite dans les affaires religieuses, il le mettait aussi patriotiquement dans la direction des finances et des affaires militaires, qu’il ne séparait jamais. Sa force avait été d’aborder ce redoutable problème de la liquidation financière avec des idées simples, avec une expérience pratique aussi ingénieuse que profonde, avec un esprit qui savait résister aux innovations chimériques. Il avait compris que, pour rétablir les finances, pour suffire aux immenses charges de la guerre, il n’y avait d’abord qu’un moyen, le crédit, et qu’on ne pouvait reconquérir le crédit qu’en lui donnant des garanties par la création de puissantes ressources qu’il fallait nécessairement demander au pays. Il y avait ajouté un gage plus visible et plus décisif; il avait toujours devant l’esprit l’exemple des États-Unis « attaquant leur