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de l’islamisme; l’abbé Roussel a entrepris son pèlerinage afin de délivrer les enfans de la captivité du vice.

L’œuvre était de choix et digne d’être savourée par les raffinés de la bienfaisance. L’abbé Roussel a de la verve ; il plaidait une cause sacrée, celle de l’enfance misérable et délaissée ; il émut les cœurs; on lui donna, non point partout; il rencontra des accueils revêches, il subit des rebuffades; il lui fallut compter avec les révoltes de son amour-propre ; il eut l’orgueil d’éteindre toute vanité en lui et de se faire humble pour secourir les petits. Il put acheter la maison et l’on s’y installa le 19 mars 1866 : l’Œuvre de la première communion était logée; elle était fondée. Cette dénomination détermine le but que l’abbé Roussel visait alors et qui, aujourd’hui, a été singulièrement dépassé : prendre les enfans vagabonds, leur enseigner la lecture, l’écriture, un peu de calcul, les mettre à même de comprendre le catéchisme et en état de faire leur première communion ; puis s’adresser aux sociétés de patronage, aux personnes charitables et placer ces enfans en apprentissage dans des ateliers où ils pourraient acquérir la pratique d’un métier. Ainsi limitée, l’œuvre était déjà considérable et produisit de bons résultats ; on la soutenait avec des quêtes, quelques loteries et l’aumône anonyme qui, en France, ne manque jamais aux entreprises de commisération. La fonction que l’abbé Roussel s’était imposée n’était point une sinécure. Ils sont parfois récalcitrans, les voyous de Paris, et leur maître en fît l’épreuve ; il fallait calmer par de bonnes paroles, et même autrement, les plus indomptés, plier à la discipline, à la vie régulière ces petits êtres malfaisans qui, dans la liberté sans limites de leur vie errante, avaient acquis une force de résistance extraordinaire. Ils avaient toutes les élasticités du corps et toutes les ankyloses de l’esprit ; ils excellaient à marcher sur les mains, à grimper aux arbres, à faire le saut périlleux ; mais quand on leur enseignait la règle des possessifs ou que l’on cherchait à leur faire comprendre un dogme religieux, ils tombaient en rêverie et regrettaient les heures où, vagues, morveux, affamés, ils jouaient à « la pigoche » sur les berges de la Seine. Ce n’est qu’à force de patience que l’on parvenait à fixer leur attention; bien souvent la toile de Pénélope, que l’on avait eu tant de peine à tisser, se défaisait d’elle-même, et il fallait recommencer le lendemain la besogne de la veille.

L’abbé Roussel, fort heureusement, a été doué par la nature d’une énergie rare, il a le privilège de ne se jamais lasser; un de ses amis me disait: « Il est infatigable ; depuis trente ans que je le connais, je ne l’ai jamais vu en repos. » Levé le premier, couché longtemps après ses élèves, il leur donnait l’exemple d’une activité