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331,167 fr. 35 c. Je viens de revoir les listes, rien n’est plus touchant : de toutes parts on s’empresse, on vient du salon, de la mansarde et de l’antichambre, de pauvres gens envoient quelques sous en timbres-poste, des invalides déposent leur obole qui figure glorieusement à côté des grosses sommes versées par les banquiers ; dans les écoles on a quêté; des petites filles se sont cotisées, de simples soldats ont donné leur prêt; des athées, des protestans, des Israélites ont couru au prêtre catholique et ont ouvert leur bourse dans sa main. Pour sauver un homme de bien, assurer l’existence des orphelins qu’il avait recueillis, développer l’œuvre préservatrice qu’il avait créée, neutraliser le vice et féconder l’intelligence, il avait suffi qu’un écrivain fît appel dans son journal au bon cœur de notre pays. France ! sois bénie pour ta charité!


II. — LA MAISON D’AUTEUIL.

Aller à Auteuil, c’était presque un voyage au temps de mon enfance ; des coucous, stationnant à l’angle des Champs-Élysées et de la place de la Concorde, qui alors s’appelait la place Louis XV, y conduisaient ; des gondoles, dont le bureau était situé au coin de la rue de Rivoli et de la rue Neuve-du-Rempart, y menaient le matin et en revenaient le soir; il y avait des parcs, des jardins, de véritables châteaux, des maisonnettes, des prairies où paissaient les bestiaux, des champs où travaillaient les moissonneurs, des chaumières de paysans, des rues non pavées, des sentiers circulant à travers les herbes et des guinguettes où, le dimanche, on dansait sous les grands arbres. Les fortifications ont englobé le village et l’ont soudé à Paris, dont il forme aujourd’hui une partie du XVIe arrondissement et le soixante et unième quartier. Encore un peu, et ce qui reste des ombrages d’autrefois aura disparu; le moellon a pris possession des vieilles allées, l’ardoise a remplacé la cime fleurie des acacias; où le crin-crin des ménétriers a grincé, il y a des magasins de confection pour dames, et dans les clos que labourait la charrue on a élevé des établissemens hydrothérapiques qui parfois servent de prison d’état.

Au numéro 40 de la rue La Fontaine s’ouvre la maison fondée par l’abbé Roussel ; une porte latérale, appuyée à la loge du portier, côtoie la grille par où l’on pénètre dans une longue allée que rétrécissent des bâtimens de construction récente. Murs légers et pans de bois; au premier aspect, ça ressemble à une usine; c’en est une, en effet : la blanchisserie de l’enfance contaminée. Là tout est simple et d’apparence, pour ainsi dire, provisoire ; on sent que l’on a été à l’économie, que l’on a ménagé les matériaux et que l’on n’a demandé au plâtre, au pisé et aux lattes que d’abriter ceux