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du XVIe siècle. Sur l’un des côtés se trouve l’effigie du pape, entourée de ces mots : Paulus II. Venetus. Pont, Max., tandis qu’on voit sur l’autre le souverain pontife à cheval et un rabatteur à la lisière d’une forêt, près de laquelle courent des sangliers, des lièvres et des cerfs, avec cette inscription : Solum in feras pius bellatur pastor. Ces quelques détails ne suffisent-ils pas pour justifier les peintres du palais de Schifanoia d’avoir plusieurs fois montré Borso se livrant à son délassement de prédilection ?


VII.

Les fresques du palais de Schifanoia nous renseignent aussi sur l’état des esprits dans le monde des savans et dans la société de ce qu’on eût appelé au XVIIe siècle les « honnêtes gens. »

Chez les érudits, les poètes, les humanistes règne un enthousiasme sans bornes pour l’antiquité. Ils en combinent les souvenirs avec les croyances chrétiennes et avec les aspirations modernes sans y apporter toujours une parfaite justesse de discernement et de goût, sans s’effaroucher non plus des fables un peu lestes[1]. En évoquant dans la grande salle du palais de Borso, à côté des scènes qui ont trait aux professions manuelles ou libérales le plus en faveur à Ferrare et non loin d’une cérémonie nuptiale ou d’une procession de moines, les trois Grâces, les Muses, Pégase, Argus, Atys, l’enlèvement de Proserpine, la forge de Vulcain et les infortunes conjugales de ce dieu, le lettré qui indiqua les compositions à peindre n’a fait que suivre des tendances très générales et obéir à un engoûment universel. Le voisinage de Minerve, de Vénus, de Mars, d’Apollon, de Mercure, de Jupiter, de Cérès, de Cybèle justifie jusqu’à un certain point les épisodes que nous venons de mentionner, sans empêcher qu’on trouve un peu forcée la juxtaposition de sujets si étrangers les uns aux autres et si disparates. Mais le moindre prétexte à la représentation des divinités de l’Olympe et à celle des figures nues était alors avidement saisi, tant les récits mythologiques et les monumens de l’art antique exerçaient de séduction sur les esprits. Les divinités, il est vrai, ont dans les

  1. Comme dans la zone supérieure des mois de juillet et de septembre. Que penser du choix des sujets qui y sont représentés ? Dénote-t-il chez l’auteur de ces fresques et chez ses contemporains une certaine candeur de sentiment qui leur voilait le danger des compositions trop libres et les empêchait de se scandaliser aisément ? Trahit-il au contraire le goût des détails scabreux et une imagination corrompue ? Il y a chez les hommes du XVe siècle un singulier mélange d’idées qui autorise à la fois les deux suppositions, une naïve inconscience du mal et une réelle corruption. Dans leur enthousiasme pour l’antiquité retrouvée, ils acceptaient sans distinction tout ce qu’elle leur offrait, ses fables plus que légères aussi bien que ses mythes spiritualistes.