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à l’aiguille ou font manœuvrer des métiers à tisser. Plus loin, les regards rencontrent des boutiques où l’on vend des chaussures et d’autres objets usuels. Ailleurs des commerçans, des jurisconsultes, des poètes s’entretiennent de leurs occupations habituelles. Les soldats à pied et à cheval semblent, de leur côté, en parcourant les rues de la ville, veiller à la sécurité publique, tandis que les courses de femmes, d’hommes, d’ânes et de chevaux rappellent les divertissemens les plus goûtés. Voilà des sujets tout nouveaux dans le domaine de la peinture, des sujets qui ne sont inspirés ni par le sentiment religieux, ni par l’intérêt qui s’attache à l’histoire du passé, ni par le désir de transmettre à la postérité le souvenir des événemens récemment accomplis. Ce sont, en un mot, de vrais tableaux de genre, les premiers peut-être qui aient été peints en Italie[1]. Mais on sent qu’ils sont dus à des artistes auxquels le grand style était familier, car les personnages, tout en restant très naturels et très vrais, ont dans leur physionomie et dans leurs attitudes une certaine élévation native qu’aurait difficilement rendue une main habituée à se mesurer seulement avec la réalité. Éviter ce qui est trop vulgaire ou trop puéril, sans chercher cependant à s’élever au-delà de ce que comporte le sujet, tel est le but que se sont proposé et qu’ont atteint d’emblée les auteurs de ces intéressantes compositions, frayant ainsi la route à suivre aux artistes futurs.

Les détails champêtres dans les fresques du palais de Schifanoia, détails devenus malheureusement peu distincts, révèlent en outre un sentiment qui ne s’était pas encore aussi ouvertement manifesté. Jusqu’alors les peintres, tout en montrant pour la nature une sympathie réelle, ne lui avaient accordé qu’une place sans grande importance et n’avaient vu en elle qu’un élément pittoresque, propre à charmer de loin les yeux. Ici, on l’a regardée de plus près, comme intimement associée à la vie de l’homme dont elle récompense les labeurs, et l’on n’a pas craint de demander au spectateur une notable partie de son attention en faveur des travaux rustiques et de ceux qui les accomplissent. Évidemment l’artiste était certain d’être agréable à son haut protecteur lorsqu’il représentait la taille de la vigne, la vendange, le labourage, les semailles. Il n’a pas douté non plus que chacun s’intéresserait à ces villageois qui fauchent les foins ou qui lient des gerbes, placées ensuite sur une charrette, à ces femmes

  1. Dans cette voie, les sculpteurs avaient devancé les peintres. Parmi les bas-reliefs du campanile de Giotto à Florence, on en remarque qui représentent des hommes occupés à confectionner des poteries, à tisser, à labourer. Devant la cathédrale de Pérouse, autour de la vasque inférieure de la fontaine, sont figurés les travaux qui se font dans chacun des mois de l’année, à la ville et à la campagne.