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LE
CRIME DE BERNARDIN

Ils étaient assis tous les trois sur les bancs de la cour d’assises. Lui, le mari, Jean Morel, une tête de brute : les yeux noirs, fixes, avec ce regard concentré que la réflexion n’éclaire jamais. Ses sourcils bruns, très marqués, se détachaient nettement sur sa figure blanche. Elle, la femme, Micheline, une espèce de grisette parisienne, blonde, de ce blond fade des lymphatiques, avec un minois chiffonné. Le teint pâle se coupait çà et là de fines couperoses. Les lèvres minces laissaient voir, en s’ouvrant, de petites dents fines, aiguës et blanches. Elle était vêtue simplement, mais avec coquetterie. Pour la femme, un théâtre, quel qu’il soit, est toujours un théâtre. Et, pour ne pas valoir l’Opéra, la cour d’assises n’en est pas moins un endroit où l’on est vue. Puis on parlait tant de Micheline Morel dans les journaux ! Le crime de Rueil remuait tellement l’opinion!

Le troisième accusé. Bernardin Morel, était le frère de Jean, le beau-frère de Micheline. Dans le grand drame que le jury allait dénouer, le malheureux Bernardin restait le personnage sacrifié. Il jouait « une utilité, » comme on dit en style de coulisses. Aussi le public n’avait pour lui qu’une estime très inférieure. Jean et Micheline passionnaient bien autrement la foule. Un mari jaloux qui tue l’amant de sa femme à coups de barre de fer et le jette à l’eau :