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avait réussi à y jeter un faible secours et avec une poignée de combattans il opposa une résistance héroïque aux ennemis. Les Espagnols firent jusqu’à treize brèches, et Coligny n’avait pas huit cents hommes de guerre pour les défendre, car il n’avait pas voulu mettre les gens de la ville aux lieux les plus menacés. Le jour du dernier assaut, étant à l’une des brèches, il se vit abandonné de tous, sauf d’un gentilhomme, d’un valet de chambre et d’un page. Il fut contraint de se rendre à un Espagnol et fut conduit devant M. de Savoie ; celui-ci lui haussa la bourguignote de son casque. Il dut montrer sa chaîne de Saint-Michel pour se faire mieux reconnaître. Le duc de Savoie le mit dans la tente de son maître-de-camp et le tint, pendant le repas, au bas bout de la table sans jamais lui adresser la parole. D’Andelot avait aussi été fait prisonnier pendant l’assaut, mais il se souvenait encore trop bien du château de Milan ; au péril de la vie, il s’échappa pendant la nuit, traversa des marais où il pensa se noyer et réussit à gagner Ham. Pendant dix-sept jours, Coligny avait lutté contre une armée de quarante-cinq mille hommes ; il n’avait rendu que des ruines. Grâce à son héroïque défense, Condé avait pu reprendre la campagne ; des levées d’hommes se faisaient partout et le duc de Guise ramenait les vieilles bandes d’Italie. Philippe II n’avait tiré aucun fruit de la victoire. Le jour même où le roi d’Espagne avait fait son entrée dans Saint-Quentin, Coligny avait dû prendre le chemin de l’Écluse, petite ville située sur la mer du Nord, à l’extrémité de la Flandre. Il y fut soumis à la plus stricte captivité et y tomba malade; une fièvre qui dura quarante jours mit un moment sa vie en péril. A peine convalescent, il fit demander la sainte Écriture ; la tristesse et la solitude lui ouvrirent des mondes nouveaux ; il n’était plus déjà, quand il était entré dans sa prison, qu’à demi catholique; il se souvenait des leçons de sa mère Louise ; il savait que d’Andelot, au château de Milan, avait médité sur les doctrines nouvelles, il se révoltait contre des papes tels que Paul IV, contre des cardinaux tels que Caraffa et le cardinal de Lorraine; en même temps qu’il lisait l’Écriture, il rédigeait le récit de sa défense de Saint-Quentin, qui est resté une des plus belles pages de notre histoire militaire. Après six mois de séjour à l’Écluse, Coligny fut transporté à Gand ; il y arriva encore malade, mais put recevoir les soins de Chapelain, le médecin qui traitait le connétable des suites d’une blessure qu’il avait reçue à Saint-Quentin. Il continua à y lire assidûment la Bible; « dans sa prison, écrit de Bèze dans son Histoire ecclésiastique, il fut gagné au Seigneur pour estre un jour instrument d’élite en son église. » D’Andelot avait déjà sauté le fossé et avait été dénoncé au roi comme hérétique par les Guises ; on savait qu’en Bretagne