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qu’on a baptisée du nom d’antisémitisme. Les Israélites de Hongrie sont la plupart d’origine allemande, et jusqu’au jour où la Hongrie recouvra ses franchises, ils firent cause commune avec l’Allemand; ils tiennent volontiers le parti du plus fort. Dans les provinces du Sud, ils font bon ménage avec les chrétiens, ils ont cessé de faire leur pot à part et on les traite avec tolérance. Mais dans les comitats du Nord, on les considère comme des étrangers; la Galicie est proche et ils en viennent. A la question de race et à la haine de Jéhovah se mêlent des inquiétudes, des jalousies d’intérêts. Chaque nation a ses défauts; les Magyars ont assez de nobles qualités pour qu’il leur soit permis d’avoir leurs faiblesses. On assure qu’ils ont du faste, que leur dépense n’est pas toujours proportionnée à leur revenu. De là naissent des embarras, on a besoin du juif, on se met à sa merci, et il n’est miséricordieux que pour le juif. Les grands seigneurs sont protégés contre ses convoitises par la loi des majorats, qui leur interdit d’aliéner leurs biens; sans cette loi tutélaire, Jéhovah aurait envahi depuis longtemps leurs domaines, et beaucoup d’entre eux seraient sur la paille. Mais le bourgeois, le petit gentilhomme campagnard, qui sont en relations constantes avec le juif, ne sont point protégés contre lui, ils sont libres de lui donner hypothèque sur leurs biens, et trop souvent cette aventure finit mal. Si demain tous les Israélites étaient expulsés de Hongrie, plus d’un château entrerait en joie, et nombre de débiteurs qui redoutent le jour des échéances pousseraient un long soupir de soulagement. Mais ce sont là des sentimens auxquels il est dangereux de s’abandonner. L’antisémitisme donne de tristes exemples au socialisme anarchique, et le socialisme profite de tous les exemples qu’on lui donne. Il y avait jadis un prophète nommé Isaïe, qui disait : « Malheur à vous qui ravagez et violentez ! car un jour vous serez violentés et ravagés. »

Le public qui se presse aux audiences du tribunal de Nyiregyhaza se recrute principalement dans la gentry des environs, et l’attitude de ce public a souvent été fâcheuse. Il parle tout haut, il s’agite, il gesticule. Le récit des tortures endurées par les prisonniers de Racsky le fait rire aux larmes. Il insulte les témoins à décharge, ses murmures et ses vociférations couvrent la voix de la défense, il crie aux accusés : « Quoi que vous disiez, vous serez pendus. » Il y a là des femmes charmantes qui se font remarquer également par l’exquise élégance de leur toilette et par l’emportement de leurs fureurs. Ces jolies femmes demandent du sang, elles en ont soif, elles comptent sur la galanterie des juges pour leur en faire boire.

Les antisémites sont fort exigeans; ils sont mécontens de tout le monde, la justice ne sera jamais assez injuste pour les satisfaire. Ils accusent de tiédeur le président du tribunal, et Dieu sait pourtant les