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avant tout, c’est faire de l’Égypte une terre anglaise exploitée par des Anglais, fallût-il pour cela déposséder par la force tout ce qui représente une influence étrangère. Les grands commerçans de l’Angleterre se sont pris de passion pour l’isthme de Suez, qu’ils dédaignaient autrefois, dont ils sentent aujourd’hui l’importance pour leurs intérêts ; mais il est bien clair que ce n’est pas le seul élément de cette agitation fort extraordinaire, que ces partis à leur tour n’ont pas tardé à s’emparer de la question dans l’espoir de s’en faire une arme contre le ministère. Depuis longtemps les conservateurs en étaient à chercher le point vulnérable du cabinet libéral ; ils ont cru cette fois l’avoir découvert, ils ont pu se flatter de trouver un puissant appui dans le sentiment populaire. Lord Salisbury dans la chambre des lords, sir Stafford Northcote dans la chambre des communes, se sont faits les patrons des revendications violentes. Ils se sont associés à ce mouvement aussi confus que passionné, et il est assez vraisemblable que, si la question était restée soumise au parlement, les conservateurs auraient pu retrouver pour la circonstance une majorité d’un jour. Le ministère risquait fort d’avoir un échec. C’est précisément parce qu’il a vu le danger que M. Gladstone, en tacticien habile, s’est dérobé et a retiré la convention de Suez, pour laquelle il se disposait à demander le vote du parlement. Qu’en est-il résulté ? À vrai dire, ce coup de tactique de M, Gladstone a été peut-être utile à tout le monde, même aux conservateurs qui, au lendemain d’une victoire de hasard, auraient été bien embarrassés pour satisfaire des passions auxquelles ils auraient dû le succès. Aujourd’hui la situation reste à peu près intacte. Le ministère libéral a échappé à un péril imminent, la question de l’isthme de Suez n’a point été compromise dans un vote douteux. M. de Lesseps s’est montré aussi habile que M. Gladstone en dégageant aussitôt le cabinet anglais de ses obligations, en lui rendant sa liberté, et les relations de l’Angleterre avec la Fronce se trouvent allégées du poids des complications qui auraient pu naître d’une solution violente.

On a du moins gagné du temps, et ce qu’il y aurait de mieux aujourd’hui pour des gouvernemens sensés, ce serait d’employer ce temps à dissiper les malentendus que d’imprévoyantes polémiques réveillent sans cesse entre deux nations dont l’aisance est utile au monde. À quel propos raviver aujourd’hui des haines surannées ? Que peuvent gagner les polémistes anglais à démontrer puérilement que la France nourrit des desseins menaçans pour la grandeur britannique ? Le ministère anglais n’est sûrement pour rien dans ces violences, M. Gladstone, au contraire, en rendant hommage, dans un de ses derniers discours, aux créateurs du canal de Suez, a saisi cette occasion de témoigner sa cordialité pour la France, de montrer l’importance de cette question égyptienne pour les rapports des deux grandes nations. Le