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Napoléon Ier de l’Égypte était escorté d’une escouade de cavaliers qui veillaient directement à sa sûreté personnelle, tandis que l’armée, rangée à quelque distance, l’arme au bras, était prête à le soutenir et à voler à son secours. Le khédive, comme je l’ai dit, était seul avec quelques Européens. Le matin, dans la lettre qu’il avait adressée aux consuls, Arabi s’était donné le titre de « représentant de l’armée. » L’armée devenait donc un pouvoir public. Mais, comme Arabi et ses confrères avaient attrapé au vol, sans les comprendre en rien, les idées parlementaires et nationales qui flottaient dans l’atmosphère depuis la chute d’Ismaïl-Pacha, leur prétention était de représenter non-seulement l’armée, mais le pays tout entier. Ils n’ont jamais pu dire, dans leur interrogatoire, d’où leur venait la double délégation qu’ils croyaient exercer. Arabi seul a donné à ce sujet quelques explications. Lorsqu’on lui a fait observer que la nation ne l’avait pas chargé du moindre mandat, il a répliqué qu’il fallait s’entendre sur la signification du mot nation : « Quel que soit le nombre d’une nation, a-t-il dit, elle est toujours dirigée par des chefs que l’on nomme cheiks ou notables. Ces chefs, qui sont une partie de la nation, on les comprend dans le mot tous, qui veut dire nation. Les chefs du pays formant la Dation étaient ceux qui ont formulé les demandes que j’ai portées à Abdin et qui s’étaient réunis chez moi à cet effet. » Voilà d’une l’essence du parti national auquel presque toute l’Europe a cru un instant. Quelques conspirateurs, quelques cheiks désireux de maintenir les abus, quelques officiers en insurrection ont renversé Riaz-Pacha et réclamé un ministère nouveau. En cédant à leurs prétentions, le khédive conservait néanmoins un espoir de salut. Il y avait alors une expérience à tenter en Égypte. Un fort honnête homme, aimé et respecté de tous, Chérif-Pacha, était depuis longtemps éloigné des affaires. Beaucoup de personnes pensaient qu’il pourrait maîtriser le parti militaire en lui donnant quelques satisfactions. Trop confiant dans sa popularité, qui était, il est vrai, très grande, et dans ses intentions, qui étaient des meilleures, pressé d’ailleurs par les consuls, pour lesquels gagner quelques mois était un grand avantage, Chérif-Pacha accepta le pouvoir, non sans de longues et sages hésitations. Il crut, ou plutôt il espéra qu’il pourrait dominer la situation. Il l’aurait pu, en effet, mais à la condition de trouver un appui en dehors de l’Égypte, car en Égypte même il n’en trouvait aucun, sauf parmi les Bédouins, auxquels il était impossible de faire appel sans risquer de mettre le pays au pillage.

Dès la première heure, ce nouveau ministère porta en lui-même son germe de mort, car Chérif-Pacha dut accepter, sur les sollicitations impérieuses, des chefs de l’armée, la collaboration de Mahmoud-Samy comme ministre de la guerre. L’ennemi était donc