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premiers ennemis des Arabes, puis les chrétiens et les Européens, et de préparer l’avènement du fameux royaume arabe, qui était le rêve de toutes les imaginations.

Le prétexte choisi pour entreprendre cette guerre civile fut des plus simples. Arabi imagina un prétendu complot de Circassiens contre sa vie. Jamais invention ne fut plus grossière. On ne cessait de répéter, depuis l’émeute de février, que les Circassiens, en Égypte, étaient un danger pour la paix publique, qu’ils ne se laisseraient point chasser du pouvoir sans résistance, et que cette résistance amènerait une crise fatale. On le disait, on l’écrivait même en Europe, et des publicistes soi-disant compétens signalaient dans les journaux cette cause de perturbation qui menaçait l’Égypte. « Quand on veut noyer son chien, dit le proverbe, on le déclare enragé. » On déclarait donc les Circassiens enragés. Le fait est que le seul reproche qu’on eût dû leur faire était leur excessive faiblesse. Amollis par les mœurs et le climat égyptiens, ils n’avaient su s’opposer à aucune des entreprises de l’armée. Jadis un seul d’entre eux eût suffi pour faire trembler tout un régiment égyptien. Mais l’Égypte avait produit sur leurs courages son effet débilitant. Ils avaient perdu, sans l’ombre d’une protestation, tous les postes qu’ils occupaient. Enhardis par tant d’impuissance, les officiers avaient résolu de se débarrasser d’eux pour toujours. Le prétendu complot servit d’occasion à cet acte d’odieuse vengeance. L’instruction en fut conduite avec une rapidité et une violence scandaleuses. Aucune torture matérielle ne fut épargnée à ces malheureuses victimes; chaque jour, on leur crachait au visage, on les frappait, on les accablait de coups et d’outrages. L’Arabe se vengeait ainsi sur le Circassien de sa longue infériorité. C’était la revanche brutale ou plutôt bestiale de l’être longtemps humilié contre son chef et son maître. Il y eut là des scènes tellement révoltantes, tellement criminelles, que la France et l’Angleterre s’émurent enfin et préparèrent l’envoi d’une escadre à Alexandrie pour mettre un terme à un état de choses qui menaçait de compromettre, non-seulement leur influence en Égypte, mais les personnes et les biens de leurs nationaux.

Une vive alerte s’empara alors des officiers. Ils avaient pris l’habitude de se réunir souvent, de se donner des banquets les uns aux autres, de discuter en commun leurs intérêts. Généralement ces réunions étaient remplies par d’interminables discours. Abdallah-Neddim, le journaliste qu’Arabi avait déclaré l’organe de la patrie et auquel il avait octroyé depuis le titre « d’orateur de l’armée, » prenait le plus souvent la parole. Le thème de ses allocutions était le panégyrique d’Arabi, assaisonné d’injures grossières