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contre les Circassiens et de menaces terribles contre les chrétiens. Un colonel qui devait bientôt incendier Alexandrie, Soliman-Samy, s’exprimait dans les mêmes termes que lui, avec plus d’énergie encore. Un Suisse, M. Ninet, agent du prince Halim, excitait les passions de l’armée, qu’il partageait d’ailleurs en toute sincérité. « Les choses allaient si loin, dit un témoin occulaire, Mohamed Choukry, que les petits enfans se mettaient, eux aussi, à faire des discours en style fleuri ayant pour objet les louanges d’Arabi et l’exhortation à l’union pour défendre la liberté. » Mais on ne se bornait pas à louer Arabi et à célébrer la liberté. On outrageait le khédive, on affirmait publiquement sa destitution; des ministres eux-mêmes déclaraient qu’il ne serait bientôt plus sur le trône. A l’annonce des projets de la France et de l’Angleterre, ces réunions prirent un caractère plus sérieux. Un soir, en présence d’Arabi, les chefs civils et militaires du complot, en même temps que tous les officiers de l’armée, jusques et y compris le grade de commandant, se réunirent à la caserne d’Abdin pour se lier les uns aux autres dans une alliance indissoluble par un serment solennel et tragique. Ce fut une scène assurément fort pittoresque et qui aurait mérité d’être mise en musique par Meyerbeer ou mieux par Offenbach. Un cheik fanatique, le cheik Abdou, l’un des principaux inspirateurs de l’insurrection, présida la cérémonie. Les conjurés malheureusement ne nous en ont donné qu’un récit peu fidèle. Je citerai parmi tous ceux que l’enquête judiciaire a relevés celui du cheik Abdou lui-même. « Le livre saint fut mis sur une table, et les officiers vinrent un à un poser leurs mains sur les pages saintes en faisant le serment que voici : « Je jure, au nom de Dieu le tout-puissant, au nom des vérités contenues dans son livre saint, que je ne trahirai pas mon pays, que je ne tromperai aucun de mes compatriotes, que je défendrai par tous les moyens mon honneur et ma religion, l’honneur et la religion de mes concitoyens, que je ne permettrai à personne d’empiéter sur les droits de ma patrie tant que j’aurai le pouvoir de l’empêcher, que je protégerai les règlemens militaires, que je soutiendrai de tout mon pouvoir les conquêtes de l’armée. Si je viole mon serment, je consens à ce que ma tête soit coupée, ma poitrine ouverte, mon cœur déchiré et jeté au loin. Je serai dépouillé de toutes les vertus humaines, de tout ce qui constitue l’humanité. » Il est fort probable que le serment contenait aussi des menaces contre le khédive et les chrétiens ; mais, bien entendu, les conjurés ont refusé de l’avouer. Chacun jura avec solennité, à commencer par Arabi et Mahmoud-Samy. Mais ce qui m’a fait dire que ce défilé imposant aurait pu être accompagné par la musique d’Offenbach, aussi bien et mieux que par celle