Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/792

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est dans ces sentimens que s’ouvrit la lutte entre les officiers et l’Europe. Une sentence inique ayant clôturé le procès fait, à huis-clos et dans d’odieuses conditions, aux Circassiens, la Porte crut devoir intervenir pour demander des explications. De son côté, le khédive vit dans cette intervention le moyen de sauver des malheureux condamnés sans justice et sans pitié. Peu après, sous la pression des consuls, il commua lui-même la sentence prononcée contre les Circassiens. Le conseil des ministres s’insurgea; il prit une délibération pour déclarer que la Porte avait outre-passé ses droits, le khédive trahi l’Egypte et manqué à ses devoirs. Mahmoud-Samy se précipita chez Tewfik-Pacha, jeta le décret de commutation sur une chaise, jurant que, s’il n’était point modifié, il ne serait pas exécuté. Le khédive répondit que sa décision, conforme à l’équité, était irrévocable. Mahmoud-Samy répliqua que, puisqu’il en était ainsi, « Tewfik ne pouvait plus être sûr de sa vie ni de sa couronne, ni même de la vie des Européens habitant l’Egypte. Un massacre horrible aurait lieu, et le khédive ne devait compter pour sa sécurité ni sur l’appui des consuls généraux ni sur celui des puissances elles-mêmes. » Au même moment, le conseil des ministres refusait d’admettre la décision prise par le khédive. La situation devenait menaçante. Les consuls de France et d’Angleterre se rendirent auprès d’Arabi afin de l’informer que les deux puissances le rendaient responsable de la sécurité des étrangers. Arabi en profita pour faire décider par le ministère la convocation de la chambre des notables. Cette convocation était arbitraire et constituait une usurpation de pouvoirs, une violation de la loi organique aux termes de laquelle la chambre ne pouvait se réunir que sur l’ordre du chef de l’état. Mais les officiers ne respectaient pas plus la loi organique, qui leur avait servi de prétexte pour renverser Chérif, qu’ils n’avaient respecté jadis les règlemens militaires, à propos desquels ils avaient renversé Riaz. Des avis de convocation furent envoyés, séance tenante, par télégraphe, dans toutes les moudiriehs, et Arabi, qui avait tout à fait jeté le masque, dédaigna de faire connaître lui-même sa résolution au khédive; les ministres déléguèrent à cet effet auprès du souverain un simple sous-secrétaire d’état. Quant à eux, ils étaient absorbés par le complot décisif qu’ils tramaient. L’objet de la réunion des notables était, en effet, des plus graves. Il ne s’agissait de rien moins que de déposer le khédive et de recourir, s’il le fallait aux violences et aux massacres.

Le ministère était ainsi en pleine révolte, quand, le 25 mai, les consuls de France et d’Angleterre remirent à Mahmoud-Samy une note en forme d’ultimatum demandant la retraite du cabinet, le renvoi d’Arabi de l’Egypte, l’éloignement d’Abdel-Al et d’Ali-Fhemy.