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prendre personnellement le commandement de l’armée. Aussitôt Toulba interrompit avec insolence les paroles du prince; il déclara que l’armée n’acceptait pas la note des puissances, qu’elle n’acceptait pas la démission donnée par Arabi de ses fonctions de ministre de la guerre, qu’elle prétendait rester unie à son chef, et que ce chef n’était pas le khédive. Ceci dit, il se retira brusquement avec les autres officiers sans prendre la peine de saluer le souverain. Cet incident porta à son comble l’émotion des notables. Dans l’espoir de trouver un compromis, le président de la chambre, Sultan-Pacha, les convoqua le soir même dans sa maison, ainsi que les officiers. Ces derniers déclarèrent qu’aucune délibération n’était possible sans la présence d’Arabi, à qui seul ils reconnaissaient le droit de les commander. Accédant à cette demande, Sultan-Pacha fit prier Arabi de venir chez lui. Il vint, en effet, escorté d’une horde d’officiers et de soldats, qui cernèrent la maison, remplirent le jardin dont elle était entourée, tandis que les principaux d’entre eux pénétraient dans la salle même où se tenait la réunion. Arabi prit aussitôt la parole. Dans une déclamation véhémente, il outragea la dynastie de Méhémet-Ali depuis son fondateur jusqu’au prince Tewfik. Usant de toutes les brutalités du langage arabe, il traita chacun des membres de la famille régnante avec le dernier mépris. Pour conclusion il prononça la déchéance du khédive. Officiers et soldats applaudissaient sans cesse, et quand Arabi acheva, la maison et le jardin retentirent plusieurs minutes des cris : « Le khédive est déposé ! » Arabi reprit alors : « Que tous ceux qui sont avec moi se lèvent, » et l’un des officiers de son escorte, Mohamed-Ebeid, complétant l’action et la parole de son maître, tira son sabre du fourreau pour menacer l’assemblée en s’écriant : « Je jure par le divorce de ma femme de trancher la tête à celui qui ne se lèvera pas ! » La fureur d’Arabi était alors sans bornes. Il donna immédiatement l’ordre à un colonel de cerner le palais d’Ismaïlieh avec son régiment et de retenir le khédive prisonnier. C’est en vain que Sultan-Pacha et les notables s’efforçaient de calmer ses transports. Le sous-ministre de la guerre Yacoub-Samy et Toulba parcouraient leurs rangs et leur répétaient la menace de Mohamed-Ebeid s’ils refusaient de se rendre le lendemain auprès du khédive pour exiger la réintégration d’Arabi au ministère de la guerre. Les officiers et les soldats répandus autour de la maison proféraient des cris forcenés. L’assemblée se sépara au milieu d’un indescriptible désordre.

Toute cette comédie dramatique avait été arrangée d’avance par les chefs de la révolution, résolus désormais à ne plus s’arrêter. Des émissaires envoyés par Arabi sur tous les points de l’Egypte où se trouvaient des garnisons, enjoignaient aux commandans d’écrire