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autre point, ils cessaient d’être exécutés, et que peut-être, même les soldats excitaient les malfaiteurs. » Il fallait créer une légende pour faire oublier ces faits bien constatés. Arabi s’en chargea. Il rédigea, à l’usage du président de la commission d’enquête nommée pour rechercher les causes du massacre, les instructions que voici : « Prenez les plus grandes précautions afin de découvrir l’auteur du mouvement. Ici tout le monde croit que c’est un Maltais, sujet anglais, qui se serait querellé avec un Égyptien et l’aurait frappé d’un couteau ; que des Grecs sont intervenus pour prendre la défense de l’Égyptien, mais que d’autres Maltais et Européens sont accourus au secours du premier; qu’alors des coups de feu ont été tirés par les fenêtres ; que la catastrophe a pris de grandes proportions par le fait des Européens, mais que les Égyptiens qui se sont trouvés mêlés à la bagarre n’ont fait que défendre leur vie avec des bâtons. On croit que plusieurs Européens ont pillé quelques magasins, mais que les Égyptiens n’ont pas pris part au pillage. Vous devez donc prendre la défense du gouvernement, de la nation, et découvrir le premier coupable européen. On dit que ce Maltais était employé au consulat d’Angleterre...» Arabi, qui n’était pas encore l’ami des Anglais, faisait donc retomber sur eux la responsabilité officielle du massacre. Mais, en particulier, il ne cachait pas sa satisfaction au sujet de ce qui venait de se passer. Il faisait relâcher les assassins emprisonnés ; il disait que l’Europe devait commencer à s’apercevoir que l’Egypte savait se défendre ; il devenait plus amical encore envers Soliman-Samy, Neddim et Saïd-Kandil. Le sous-ministre de la guerre, Yacoub-Samy, écrivait de son côté à ses frères d’Alexandrie pour leur recommander la prévoyance, mais quelle prévoyance! « Le sage, leur disait-il, est celui qui sabre son ennemi et qui se réjouit du spectacle de sa mort. » Le fait est que l’armée seule était responsable des horreurs d’Alexandrie. C’est elle qui avait massacré les Européens, en collaboration avec quelques buveurs de haschich, quelques bandits qu’on avait soigneusement préparés pour cette œuvre criminelle. Saïd-Kandil les emprisonnait, la police leur faisait subir les plus durs traitemens sous prétexte que c’étaient les Européens qui l’exigeaient; puis on les relâchait dans un état d’exaltation extraordinaire, en leur disant de se venger.

Si absurde qu’elle fût, la légende d’Arabica paru réussir quelques jours. La flotte franco-anglaise restait toujours immobile; la conférence diplomatique réunie à Constantinople ne disait mot. Se sentant abandonnés, les Européens d’Egypte prenaient la fuite ou s’attachaient au moindre espoir de salut. C’est alors que le consul autrichien, qui avait été l’ami et la dupe d’Arabi, crut devoir faire une tentative pour sauver à la fois le parti national, qui