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le royaume, je me suis efforcé de montrer combien il était important d’employer tous les moyens possibles pour engager ce prince à revenir, parce qu’il était si profondément respecté, que l’idée de son émigration forcée indisposerait les puissances et finirait par soulever tous les alliés de la maison de Bourbon ; j’ai ajouté que si nous désirions terminer favorablement nos négociations avec les princes de l’empire possessionnés en Alsace, nous devions employer tous nos efforts afin de nous concilier le cardinal de Rohan, qui aura certainement la plus grande influence sur leur détermination. » Bertrand de Molleville répliqua qu’il fallait, sans perdre de temps, opposer un démenti formel et public au rapport de Fréteau : « J’y ai pensé, dit Montmorin, mais si Fréteau a concerté son rapport avec les autres membres du comité, ils sont capables pour soutenir leurs manœuvres d’opposer leur témoignage à mon assertion, qui, quoique vraie, n’en passera pas moins pour fausse. » — « Écrivez du moins à Fréteau, reprit Bertrand de Molleville, pour qu’il ait à se rétracter ou à rectifier son rapport, et menacez-le, s’il ne le fait pas, de faire imprimer votre lettre dans tous les journaux. » Montmorin approuva cet avis comme le plus modéré, et il écrivit le même jour à Fréteau, qui, dans sa réponse, convint de l’inexactitude. Il promit même de faire corriger l’erreur sur le procès-verbal et d’en instruire les membres les plus marquans de l’assemblée. Montmorin eut la condescendance de ne pas en exiger davantage. Il se refusa à publier les lettres échangées. La lassitude des choses et des hommes amène cette insouciance.

Les temps étaient proches cependant où la vie allait être menacée. La législative n’était qu’une courte préface avant la convention. Dès la première semaine de son existence, le comité diplomatique fut mené par les violens. Le ministre des affaires étrangères n’était plus qu’un chef de bureau. Montmorin avait de nouveau pris le parti de se retirer. Les dénonciations pleuvaient sur lui; Condorcet lui-même, Condorcet son ami, l’accusait, dans la séance du 18 octobre, à propos du projet de loi contre les émigrans[1].

Le comte de La Marck, dans une lettre à Mercy-Argenteau, était d’avis que Montmorin conservât encore son poste. Dans une quantité d’affaires, il pouvait surveiller le roi lorsque, comme le redoutaient les courtisans, il échapperait à la reine. Le grand seigneur brabançon la considérait comme seule capable de régner, et ses opinions sur Montmorin varièrent jusqu’au moment où le ministre conquit l’amitié de Marie-Antoinette.

L’insistance de Mallet du Pan et de Malouet fut plus efficace[2].

  1. Correspondance de Mirabeau et de M. de La Marck, t. III.
  2. Voir Mémoires de Mallet du Pan, t. I, p. 248.