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comme on l’assure, une impression dans l’esprit du roi? Conçut-il pour la première fois la nécessité d’une défense à l’intérieur, en se séparant de toute alliance étrangère? En tous cas, il était trop tard. Les avis de quelques hommes d’intelligence et de cœur, se réunissant pour essayer d’endiguer l’impétueux torrent, pouvaient-ils désormais être autre chose qu’une désignation pour l’échafaud ?

Montmorin va chercher sa famille à Theil; elle ne veut plus le quitter. Accusé de prévarication, lui l’intégrité et la générosité mêmes, il avait envoyé à la législative (17 avril 1792) les états de dépenses de son ministère. La lumière fut bientôt faite ; nous la ferions au besoin après lui. Ses réparations à Theil sont connues; les mémoires ont passé sous les yeux de ses implacables adversaires[1]. Le prix de son hôtel de la rue Plumet, acheté de la succession Beaumanoir le 28 mai 1784, moyennant 220,000 livres, n’avait été soldé qu’au moyen d’un emprunt. Néanmoins les soupçons de concussion étaient répandus. Une visite avait été pratiquée au château par la municipalité de Sens. L’homme d’affaires, le fidèle Peyron, dont il est parlé dans la correspondance de Joubert, avait pris le parti d’ouvrir désormais devant les délégués de l’autorité municipale toutes les caisses qui venaient de Paris. Une note indique que le papier peint destiné à la chambre à coucher de Mme de Beaumont était l’objet d’observations et avait paru suspect.

Montmorin prévoyait le sort qui l’attendait; sollicité de passer en Suisse, il s’y refusa avec obstination. Il disait au comte de La Marck, le 19 avril : « Dès que la guerre sera commencée, il faut s’attendre à toutes les inquisitions imaginables. Les accusations se multiplieront contre tous ceux dont on voudra se de faire. Les premiers momens seront durs pour les honnêtes gens. Dieu veuille que le roi et la reine n’en soient pas les victimes ! »

La guerre était commencée. Dumouriez avait quitté le portefeuille des affaires étrangères pour commander l’armée du Nord. Le dernier effort de La Fayette lui-même ne devait pas réussir. La garde nationale l’abandonnait et sa mise en accusation était à la veille d’être demandée. Les ministres se succédaient les uns aux autres, tous plus faibles devant l’assemblée. C’était sous le ministère de M. de Narbonne que le dernier acte politique de Montmorin s’était accompli. Il avait obtenu de Louis XVI le désaveu officiel des armemens faits en son nom par les princes ses frères; mais ni ses proclamations, ni ses lettres, n’avaient produit d’effet. La mission secrète du baron de Vioménil et du chevalier de Coigny, envoyés à Coblentz pour témoigner aux émigrés la désapprobation royale, avait excité au plus haut degré leurs colères contre Montmorin. Considéré par

  1. Archives nationales. Inventaire de M. de Montmorin.