Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/849

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Montmorin avait cru sage de mépriser jusqu’alors les clameurs et les faiseurs de motions. Mais une accusation formelle le fit sortir de son flegme habituel. Cette accusation émanait d’un journaliste, Carra, rédacteur des Annales patriotiques. Il articulait nettement le crime de trahison contre Bertrand de Molleville et Montmorin, et il invoquait à l’appui les témoignages de Merlin, de Bazire et de Chabot. Montmorin et Bertrand déposèrent une plainte en diffamation entre les mains du juge de paix de la section Henri IV. Cet honnête et courageux magistrat a mérité de ne pas être oublié. Il se nommait La Rivière. Il ouvrit une enquête. Les trois députés désignés reconnurent l’exactitude de la déclaration de Carra. Le juge de paix se présenta alors à la barre de l’assemblée (18 mai 1792). Il demandait que le comité de surveillance lui remît tous les titres, notes et renseignemens qu’il pouvait avoir. Une discussion s’engagea. Bazire attaque la plainte comme étant nulle en sa forme, parce que les plaignans s’étaient qualifiés ministres d’état. La législative passe à l’ordre du jour, sur une observation de Dumolard, réclamant justice pour tous. Le lendemain, 19 mai, Romme dénonce le juge de paix, qui venait de décerner un mandat d’amener contre Bazire, Chabot et Merlin. Tous les trois protestaient contre l’atteinte portée à l’inviolabilité parlementaire. La Rivière se rend de nouveau à l’assemblée, et déclare qu’aux termes de l’article 8, section V de la constitution, tout citoyen devait répondre quand il était interrogé, au nom de la loi et que le mandat d’amener n’était qu’une mesure de procédure et de police. Louis XVI, prévenu par Montmorin, intervient alors dans une lettre lue à la tribune par Duranthon, garde des sceaux, lettre qui sollicité les députés à accomplir leur devoir avec impartialité. La colère de l’assemblée est à son comble. Guadet, appuyé par Lasource, n’hésite plus et propose la mise en accusation du juge de paix. Genty proteste vaillamment, mais est accueilli par les cris : « A l’Abbaye! à l’Abbaye. » La motion, malgré lui, est adoptée au milieu des applaudissemens. Le malheureux La Rivière est transféré à Orléans; il devait, le même jour que de Lessart et Brissac, être égorgé par la bande de Fournier l’Américain. « Encore, comme disait Malesherbes, après sa condamnation, encore si cela avait le sens commun[1]! »

Avoir l’acharnement de cette éloquente et idéaliste Gironde contre un magistrat intègre, à lire ces discours enflammés contre Montmorin, on reconnaît que les imaginations troublées par une méfiance absolue, au moment où la guerre mettait en jeu l’existence de la nation, ne voyaient dans les constitutionnels, parce qu’ils étaient attachés au roi, que des ennemis irréconciliables. L’issue de ces

  1. Souvenirs de Mathieu Dumas.