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en prie, et de celles de nos amis Trudaine. » Souvenir des temps fortunés et des soirées de la place Royale ! On savait Montmorin traqué comme une bête fauve et le comte de Mercy-Argenteau écrivait de Spa au prince d’Arenberg : « Je suis en peine de M. de Montmorin; mais, à en juger par l’énoncé des derniers journaux, il pourrait encore échapper à ses assassins[1]. »

Il ne put leur échapper. On le découvrit par l’imprudence de son hôtesse. Dans ce temps de disette et de pauvreté, elle achetait les plus belles volailles, les meilleurs fruits et les portait chez elle sans précaution. On soupçonna bientôt qu’elle recelait un aristocrate. Cette conjecture se répandit parmi la populace du quartier, presque toute composée d’agens des jacobins. Peltier prétend que l’indiscrète affection de Mme de Nanteuil éveilla aussi les soupçons : elle allait le voir et laissait sa voiture à une certaine distance[2]. Montmorin fut arrêté, au moment où il s’y attendait le moins, le 21 août 1792. On trouva sur la table quelques journaux, le Logographe, journal du soir, les Débats, le Patriote français, deux assignats de 50 livres et soixante-cinq de 5 livres. En le fouillant, on saisit une fiole d’opium, suprême recours dans un moment de désespoir.


IV.

Il ne se fit pas illusion sur l’issue du combat, et voulut néanmoins se défendre pied à pied. Interrogé d’abord par le comité de sûreté générale sur le point de savoir s’il n’avait pas tenu un conseil secret sur les affaires publiques avec des membres de l’assemblée constituante, il s’expliqua avec une rare présence d’esprit. L’interrogatoire porta ensuite sur la politique étrangère depuis la révision de l’acte constitutionnel. Le mémoire publié à la suite des accusations de Brissot renfermait les principales justifications; Montmorin s’y référa. Sur la coalition des puissances étrangères et sur les mesures à prendre pour en prévenir l’effet, il répondit avec sa correspondance officielle; chacune de ses réponses fut nette, précise, et ne pouvait donner prétexte à accusation. Néanmoins l’assemblée l’appelle à sa barre; une confusion s’était faite entre l’ancien ministre et son cousin le marquis de Montmorin, gouverneur de Fontainebleau, et qui avait son appartement aux Tuileries. On allait jusqu’à attribuer au premier les ordres donnés aux Suisses

  1. Archives nationales, FJ, 4,625.
  2. Peltier, Dernier Tableau de Paris.