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juges, qu’ils n’avaient été nommés par aucune loi, que l’affaire pour laquelle il était détenu était soumise à la décision d’un tribunal régulièrement constitué, et qu’il espérait bien que sa décision changerait l’opinion que le peuple avait de lui. Jusqu’à la dernière minute de sa vie, sa conscience s’élevait ainsi contre ses dénonciateurs. Un des acolytes de Maillard interrompt brusquement le prisonnier et dit : « Monsieur le président, les crimes de Montmorin sont connus; mais, puisqu’il prétend que son affaire ne nous regarde pas, je demande qu’il soit envoyé à la Force. — Oui, oui, à la Force ! » crient à la fois tous les juges. Est-il bien sûr qu’un éclair de joie ait alors illuminé le visage de la victime et qu’elle ait espéré échapper aux mains des bandits? « A la Force! » était à la fois l’arrêt et le signal de mort. Le grand seigneur sardonique et dédaigneux se réveilla : « Monsieur le président, dit-il, puisqu’on vous appelle ainsi, je vous prie de me faire avancer une voiture. — Vous allez l’avoir, » lui répond froidement Maillard. Il fit un signe à l’un des assistans, qui sortit aussitôt pour avertir les assassins qu’ils allaient avoir un aristocrate de choix. Le misérable rentra dans la salle et dit à Montmorin : « La voiture est à la porte. » Montmorin réclame divers objets et des souvenirs qui étaient restés dans son cachot. Il veut les emporter. On lui répond qu’ils lui seront envoyés. Il sort, et Maillard écrit aussitôt en marge du registre d’écrou : Mort. Montmorin tombe à la porte au milieu d’une meute de forcenés. Ils se jettent sur lui, le renversent et le frappent à coups de sabre ou de pique. M. Ignace de Barante, dans ses notes inédites, raconte qu’au moment où on l’égorgeait, il mordit la main d’un des bourreaux, un nommé Cumont; un autre septembriseur, Boinnet, lui abattit les doigts à coups de hache et les mit dans sa poche pour les montrer dans tous les cafés du voisinage. Percé de coups en plein corps, tailladé et labouré de plaies, Montmorin respirait encore; les assassins alors l’empalèrent et le portèrent ainsi comme un trophée jusqu’aux portes de l’assemblée.

Telle fut la fin, nous pouvons dire tel fut le martyre du comte Marc de Montmorin Saint-Hérem, qui, le premier, fut ministre des affaires étrangères de la révolution.


V.

Mme de Montmorin avait tout appris. Les horribles détails de ce long supplice lui avaient été racontés; Pauline de Beaumont ne les ignora pas davantage. Elle partit avec sa mère, sa sœur et son frère pour Rouen, où M. de Liancourt les recueillit. Mais y séjourner fut