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dans des études d’archéologie et d’histoire-, l’auteur conciliait le goût de la bouteille et le goût de l’érudition, deux passions chères à l’Allemagne et qui s’y trouvent réunies comme dans le singulier livre de Rabelais. Durant ce séjour d’Heidelberg, très fructueux pour ses ouvrages futurs, on le voyait passer avec un égal attrait de la taverne à la bibliothèque, aussi joyeux de boire du vin doré dans des coupes verdâtres que de tenir entre ses doigts de vieux parchemins jaunis, avec un cachet de cire rouge au bas. Chez les Allemands, l’érudition se mêle à tout, même aux chansons à boire; en parcourant le Commers-Buch, on y rencontre des chants latins et jusqu’à une traduction grecque du roi de Thulé ; on trouve également dans le Gaudeamus de M. Scheffel de savans morceaux où éclate la passion de l’humaniste et du philologue.

Notre auteur estime, en effet, que la poésie doit se rajeunir et se rafraîchir aux sources de l’érudition et de l’histoire. Ce que nous appelons actualité, modernité, offre aux Allemands de l’école de M. Scheffel peu d’intérêt poétique. Stendhal constate chez ce peuple l’aversion de la sensation présente. Tandis que l’homme de lettres parisien cherche l’excitation et l’inspiration dans le souffle léger de la vie mondaine et tire les sujets qu’il traite de la réalité immédiate qu’il a sous les yeux, l’Allemand considère que notre vie moderne, sous son jour terne et cru, notre civilisation positive et rationaliste, notre langue, faite d’idées et de mots abstraits, fournissent moins à l’imagination désenchantée que le tableau coloré des vieux âges. Aussi se plaît-il à errer dans le vaste champ du passé fouillé jusque dans les moindres recoins. C’est le rôle du poète, selon M. Scheffel, que de compléter celui du chercheur exact et scrupuleux, de l’amasseur sagace de matériaux et de documens historiques. Il est donc nécessaire que le poète se double d’un érudit.

Mais, par érudition il ne faut pas entendre cette étude pédante et casanière qui consiste à s’enfouir dans les livres pour devenir savant. L’historien doit, au contraire, courir le monde, en posséder une connaissance directe, s’inspirer de l’aspect des lieux et des monumens, de l’influence des climats. Aussi M. Scheffel a-t-il pris pour devise et pour règle ces préceptes d’un vieil auteur allemand qui reflètent le fanatisme de la curiosité historique : « Un historiographe consciencieux doit non-seulement étudier avec soin dans les bibliothèques, les manuscrits, les chartes, les chroniques, les chansons populaires, les livres de messe et de prières, les calendriers, les nécrologes, les registres de la vie des saints,.. mais il doit payer de sa personne, supporter le froid et la chaleur, la sueur et la poussière, la pluie et la neige, découvrir et fouiller les ruines, examiner les monumens funéraires, les colonnes, les images,