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dans les grands in-folio des Monumenta Germaniœ. Les. épisodes du roman disposés de manière à faire contraste, ici un intérieur de couvent, là une scène de sorcellerie, une petite cour féodale, un combat de Huns, etc., sont destinés à refléter les différens aspects de l’époque, et ne se rattachent que par un faible lien à l’action principale. Celle-ci est empruntée à la chronique latine du cloître de Saint-Gall, « véritable collier de perles littéraires. » Voici les principaux passages de cette chronique, dont M. Scheffel ne nous donne dans ses notes que des fragmens : le texte complet se trouve dans l’étude de M. Bartsch :


Hadwige, duchesse de Souabe, habitait sur le Hohentwiel[1]. C’était une très belle femme, mais d’une grande sévérité envers les siens, ce pourquoi on la redoutait dans le pays au loin et au large. Le duc Burchard l’épousa étant déjà vieux, et, à ce qu’on dit, il n’accomplit pas son devoir d’époux. Burchard étant mort, Hadwige alla faire un pèlerinage au cloître de Saint-Gall : « Mais de tous les présens que lui offrit l’abbé, elle ne voulut que le moine Ekkehard pour lui enseigner le latin.» De retour dans son château, « elle fit donner à son professeur, comme elle l’appelait, une chambre à côté de la sienne. Elle y entrait nuit et jour, avec une suivante, laissant toujours les portes ouvertes, afin que nul ne pût répandre, à ce sujet, de mauvais propos. Par sa dureté et son humeur emportée, elle mit quelquefois le moine hors de lui, si bien qu’il préférait souvent être seul plutôt qu’avec elle. On avait dressé sur son ordre, dans la chambre du moine, un lit précieux, orné de draperies, mais celui-ci le fit enlever, dans son humilité; pour ce motif, elle voulut qu’on lui administrât la bastonnade, et ce n’est qu’à force de supplications qu’Ekkehard obtint de n’avoir pas les cheveux coupés (ce qui était une flétrissure pour un homme libre.) Lorsqu’il allait à son monastère, elle le chargeait de présens. » Un jour que le moine était allé faire une visite dans un cloître du voisinage, comme il prenait congé de l’abbé, ce dernier, en l’embrassant lui murmura dans l’oreille : « Heureux homme, qui as une si belle écolière à instruire dans la grammaire ! » sur quoi Ekkehard lui répondit, à l’oreille, également en plaisantant: « Comme toi, bon apôtre, qui as instruit dans la dialectique la belle nonne Gotelinde, ta chère élève. »


Sur ce canevas M. Scheffel a brodé son roman, qui n’est pas moins remarquable par l’ampleur de l’érudition que par la description des paysages. Il semble que son ambition ait été d’unir l’exactitude d’un Augustin Thierry à l’imagination d’un Walter Scott. Si pénétrante

  1. Montagne près du lac de Constance.