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Il s’est produit en cette matière ce que nous avons vu depuis peu d’années se réaliser par l’ouverture de ces grands magasins où s’accumulent les denrées de toute nature vendues au comptant. Les gros ont mangé les petits. Le petit magasin de détail a disparu devant les grands ; le marchand en détail, ayant toute sa famille à nourrir, un loyer relativement élevé à payer, ne pouvait que vendre cher sa marchandise; il a fermé sa boutique devant ces immenses bazars, qui coûtent relativement un moindre prix malgré leur étendue, occupent, en somme, moins de bras, malgré leurs légions d’employés, et, par conséquent, donnent leurs marchandises à meilleur compte, quand encore les besoins de la réclame ne les amènent pas à en vendre quelques-unes à perte.

Ainsi en est-il pour la banque. Nous ne parlons pas encore de la place qu’ont prise les sociétés anonymes de banques dans cette recherche des emprunteurs sur toutes les places de l’Europe et de la France ; nous voulons seulement établir qu’il est bien difficile de réussir dans cette industrie sans y avoir des ancêtres, sans être à la tête d’une maison de premier ordre, et sans l’avoir établie dans un siège favorisé.

Mais le prêt aux particuliers, l’escompte du papier, pour parler le langage technique, ne restent pas l’unique soin de quiconque aspire au titre de banquier. Il y a particuliers et particuliers : c’est-à-dire simples commerçans ou hauts et puissans seigneurs de toute sorte, qui ouvrent des comptes et entretiennent avec leurs correspondans d’utiles relations; il y a aussi de vastes entreprises industrielles à favoriser, de grands travaux à soutenir, en un mot, des sommes importantes à recevoir ou à verser ; les rois et les peuples se présentent comme prêteurs ou emprunteurs, le plus souvent en cette dernière qualité ; privilégiés se diront les banquiers appelés par eux. Prenons comme types de ces banquiers hors ligne des hommes dont les noms sont dans toutes les bouches : MM. de Rothschild peuvent s’appeler les grands banquiers des grands états, MM. Mallet ont pour clients l’aristocratie en tous genres en France et en Europe; dans une sphère d’activité plus spéciale et dans des limites plus étroites, en se bornant aux murs de notre capitale et au commerce parisien, MM. Lehideux et Claude Lafontaine méritent aussi une mention spéciale.

Qu’on nous permette de donner quelques détails sur chacun de ces banquiers. La maison de Rothschild ne remonte pas à une date ancienne. Son véritable fondateur, Meyer Anselme, était né en 1743 à Francfort, de parens peu riches. Il se trouva en relations avec le landgrave de Hesse, dont il gagna la confiance et dont il sauva la fortune au péril de la sienne, quand ce prince, obligé de quitter ses