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jeunes compositeurs ? Après tout ce que nous venons de voir, il serait assez malaisé de le dire, à moins qu’il ne s’agisse d’un simple voyage d’agrément dont il plaît à l’état de gratifier les bons élèves. On admet qu’il en soit autrement pour les peintres, les sculpteurs et les architectes. A ceux-là Rome et Florence, Naples et Venise réservent des trésors d’enseignement, des modèles de toutes les époques seuls capables de conseiller, d’ennoblir et de mener à perfection une grande individualité d’artiste. « C’est tout un chant d’Homère retrouvé ! » s’écriait Goethe, éclatant d’admiration en présence de la Junon Ludovisi. Où sont, pour un musicien, les Junon Ludovisi? Où sont les musées et les archives? Parlerons-nous des œuvres de Palestrina? Mais l’Italie a, depuis longtemps, cessé d’en avoir le monopole; plus n’est besoin d’aller à si grands frais déchiffrer les manuscrits de la chapelle Sixtine; ces œuvres désormais divulguées comme celles des écoles de Naples et de Venise, tout le monde à présent se les procure dans des éditions à bon marché; et voyez l’amusante contradiction : tandis qu’avec la routinière obstination qui nous caractérise, nous persistons ici à nous payer le luxe du prix de Rome, une dame de Milan, Giovanna Lucca, instituait naguère un prix à cet effet d’envoyer les jeunes Italiens continuer et parachever leurs études en Allemagne.

Il me faut conclure : que signifie au résumé le mouvement qui se poursuit chez nos voisins depuis environ quinze ans? Les tendances qui se prononcent d’un si fier entrain procèdent-elles du génie de la nation? Est-ce là vraiment sa chair et son sang, bref, qu’y a-t-il de sérieux dans tout cela? et quelque subite réaction n’est-elle pas à craindre? En attendant que l’avenir se charge de répondre à ces questions, un bon patriote allemand ne pouvait que pousser sa thèse du côté de l’affirmative. « Nous croyons résolument qu’avec la marche ferme et progressive du royaume, et malgré tous les vieux fermens qui subsistent sous couleur hypocrite de conservatisme, une ère nouvelle doit s’ouvrir pour la musique italienne. » Ainsi termine M. Martin Roeder. Il prophétise à l’Italie musicale un nouveau royaume de Dieu sous l’invocation de la très sainte Germanie. Culture littéraire et musicale, il faudra désormais que l’influence allemande se substitue à la nôtre. Regardez les poètes, Carducci, Guerrieri, tous germanisent; ainsi de la musique, c’est le ton du jour. Les Italiens de la génération précédente n’aimaient et n’admiraient que nos poètes, ils goûtaient Lamartine et Victor Hugo à l’égal de leurs Leopardi, de leurs Niccolini, de leurs Giusti ; les jeunes du moment traduisent Goethe et citent Heine de préférence à Musset. Creuserons-nous les raisons de ce retour des choses? Il y en a de philosophiques et de politiques. Nous ne sommes plus au