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que les leçons de pareils professeurs, adressées parfois à des sujets bien doués, ne pussent pas produire quelques effets heureux. C’est toute la différence de cette année-ci, qu’on déclare si glorieuse, à la précédente qu’on déclare néfaste. Au concours de 1882, je vois inscrits comme tragédies : Ruy Blas, le Roi s’amuse, les Énjnnies, Ruy Blas encore et, comme par grâce, après Marie Stuart, Phèdre toute seule; à titre de comédies, je vois figurer derechef Ruy Blas, Don Juan d’Autriche, Mademoiselle de Belle-Isle, l’Honneur et l’Argent, les Faux Ménages, le Fils naturel, par deux fois le Demi-Monde et jusqu’à l’Étrangère. Malgré ce choix de morceaux, plus faciles apparemment et plus avantageux que des morceaux du grand répertoire, les élèves n’avaient obtenu de l’indulgence du jury qu’un petit nombre de prix et d’accessits. En 1883, des candidats mieux préparés par la nature, et plus achevés par leurs maîtres, ont ravi un plus grand nombre de récompenses ; nous ne croyons pas cependant que la tragédie et la haute comédie trouvent dans ce concours plus de garanties que dans le précédent. Et comment, à vrai dire, en pourraient-elles trouver davantage ? Et si d’aventure, elles avaient lieu, cette fois, d’être satisfaites, comment affirmer qu’à la prochaine rencontre, elles le seraient encore? Quelles sûretés offre un tel système d’enseignement, ou plutôt un enseignement qui n’est aucun système? D’ailleurs, combien de temps chacun de ces professeurs, fort occupé en dehors de sa classe, fort distrait de l’enseignement par la pratique et par les succès de la scène, combien de temps donne-t-il, par semaine, au Conservatoire? Quatre heures, pas davantage; quatre heures en deux fois, et souvent, le professeur a plus de douze élèves. Ainsi, quatre professeurs que ne réunit aucune direction, que ne soutient aucun programme, qui doivent improviser à leur fantaisie quatre cours absolument complets, qui ne peuvent combiner leurs efforts, qui donnent à chaque élève à peine dix minutes, deux fois la semaine, voilà tout l’enseignement de ce Conservatoire : n’est-il pas misérable? Il faut l’enrichir.

Il faut nommer, sous un directeur spécial, un plus grand nombre de professeurs, et qui soient mieux payés. Si les hommes font défaut, si l’on ne trouve pas assez de Coquelin pour enseigner auprès des Got, des Delaunay et des Worms, que n’appelle-t-on des femmes? Mme Arnould-Plessy, d’après une légende, a refusé cet honneur; mais, pense-t-on que Mme Dinah Félix formerait des jeunes filles à la comédie moins bien que M. Maubant? Mme Madeleine Brohan ne pourrait-elle pas, comme fait M. Worms, communiquer à ses élèves la netteté de son débit? Mmes Emma Fleury et Delaporte, qui enseignent déjà dans la vie privée, ne sont-elles pas prêtes à l’enseignement public? Mmes Favart, Marie Laurent, Rousseil, Agar, ne donneraient-elles pas d’excellens avis à de futures tragédiennes? Aussi bien j’ignore s’il faut tenir M. Maubant pour grand artiste ou pour mauvais