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REVUE. — CHRONIQUE.

délicates prendra un rôle dans les élections des conseils généraux, qui s’accomplissaient hier. Le ministre en savait vraisemblablement plus qu’il n’en disait au sénat et à la chambre des députés, lorsque tout à coup est survenu un événement imprévu, encore assez énigmatique, qui peut tout compliquer, tout précipiter, ou tout simplifier. L’empereur annamite, Tu-Duc, qui était notre protégé et qui a été le principal instigateur des hostilités que nous rencontrons, est mort subitement à Hué. Quelles vont être les conséquences de ce coup de théâtre ? On ne sait pas trop, à vrai dire, ce qui peut sortir de ce fouillis de prétentions orientales, du conflit des compétitions autour de ce trône vacant. On ne sait ni quel sera le successeur du dernier souverain, ni quelles influences prévaudront à la petite cour de Hué ; on ne distingue pas encore ce que va faire notre gouvernement, quelle sera la nouvelle politique annamite, ni, d’un autre côté, si la Chine ne saisira pas cette occasion de revendiquer sa vieille et équivoque suzeraineté sur l’empire d’Annam, au risque d’entrer en conflit avec la France, décidée à aller régler ses affaires à Hué même. Tout reste provisoirement assez obscur. N’importe : si c’est la paix qui sort de là, ce sera fort heureux ; si c’est définitivement la guerre avec l’Annam et éventuellement avec la Chine, il sera du moins singulier qu’en deux ou trois ans, sous la république, la France se trouve engagée dans deux expéditions lointaines sans que les chambres aient été sérieusement consultées, sans qu’elles aient pu même obtenir suffisamment d’explications claires et précises.

Tandis que nos chambres sont parties, le parlement anglais reste encore à l’œuvre pour quelques jours, et le ministère a une tâche aussi pénible que laborieuse au milieu des discussions, des interpellations, des difficultés de toute sorte qui ne cessent de l’assaillir, qui ne lui laissent pas un instant de répit. Il n’est pas de jour depuis une ou deux semaines où il n’ait eu à tenir tête et à répondre, tantôt sur les affaires du Zoulouland, qui paraissent s’embrouiller de nouveau par la défaite ou la disparition du roi Cettiwayo, tantôt sur nos expéditions de Madagascar ou du Tonkin, enfin particulièrement sur les affaires d’Égypte, qui sont loin de s’éclaircir et de toucher à un dénoûment.

La situation, à vrai dire, ne laisse pas d’être épineuse. Le ministère se trouve placé entre divers partis qui le pressent d’interpellations et d’objurgations contraires. Il y a certainement, en Angleterre, une opinion favorable à une occupation indéfinie de l’Égypte, et les conservateurs, conduits par sir Stafford Northcote, par lord Salisbury, se sont faits habilement les champions de cette politique assez populaire, dont le dernier mot serait l’annexion ou un protectorat équivalant à l’annexion. Ils somment le ministre de s’expliquer, ils s’efforcent de lui arracher l’engagement de ne pas rappeler l’armée britannique campée aujourd’hui dans la vallée du Nil. D’un autre côté, des mem-