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officielle sur le papier, en énumérant avec complaisance et parti-pris d’optimisme des projets qu’ensuite on ne réalise guère, il faut aussi et surtout s’occuper de faire réussir ce qu’on a entrepris. Or c’est à quoi le système de la colonisation officielle, basé sur les concessions gratuites, n’arrive pas. Il y a plus, c’est que, si on doit juger de l’avenir de ce système par les résultats qu’il a donnés depuis qu’on l’applique, cet avenir serait extrêmement sombre. » Puis vient aussitôt sur les lèvres du délégué l’énumération détaillée d’une foule de faits propres à confirmer son dire :


Au village d’Ain-Yagout, sur 28 lots donnés, il reste 3 familles comprenant en tout la habitans. A Fontaine-Claude, sur 29 lots, il reste 3 familles, comprenant en tout 8 habitans ; une seule maison a été construite à Ain-Mazuela ; il reste 4 familles comprenant 6 habitans, et il n’y a pas une seule maison construite. A Ain-Zsar, livré à la colonisation en 1830 et qui comporte 10 lots, il n’y a pas encore un seul habitant ; personne ne s’est rendu sur les lots attribués. A Beni-Addi, le même fait se représente ; on est obligé de mettre les colons en demeure de se rendre sur les lots qui leur sont attribués. Si l’on remonte plus haut comme date de création, on trouve qu’à Oued-Sedjar, contrée traversée par le chemin de fer, où les terres sont excellentes, où il y a des sources et des puits, sur 50 lots de fermes qui ont déjà été attribués, il y a déjà plus de la moitié des attributaires qui, faute de ressources, ont loué leurs terres aux Arabes. A Seljar-Foulcani, pays de bonnes terres et de sources, sur 6 attributaires de fermes, 4 ont déjà loué aux indigènes. A Sedjar-Lautoni, terres à céréales, les attributaires ont abandonné leurs lots de ferme. A Sbir-Debatcha, dix fermes dont la situation est à peu près perdue. A Baklach, 6 fermes de 70 à 100 hectares, que les attributaires ont louées aux indigènes. A Bled-Youssef, pays sain, terre d’une fertilité exceptionnelle, — lots de 25 à 40 hectares, — sur 34 attributaires, il en reste 12 ; les autres ont vendu leurs lots à vil prix et ont abandonné le pays ; les maisons commencées tombent en ruines. A Bou-Malek, dans de bonnes terres où l’on avait attribué 25 lots de ferme, les concessionnaires ont, pour la plus grande partie, vendu leurs fermes et quitté le pays ; il ne reste actuellement que 8 familles. A Coulmiers, 14 lots de 50 à 60 hectares ont été attribués. Les attributaires ont abandonné les lieux pour louer aux Arabes… En présence d’une situation aussi déplorable, osera-t-on dire que le système de la colonisation officielle, suivi jusqu’à ce jour, doit être continué sans aucun changement… et que les 50 millions qui vont être généreusement consacrés par la mère patrie à la création de nouveaux centres pourront être employés à donner des résultats aussi négatifs ?… Ce système doit être condamné, d’abord parce qu’il oblige le colon à s’aller installer sur une terre qu’il n’a pas choisie, dans un pays dont les